21 décembre 2007

Fiche artiste de Welcome to Julian


Welcome to Julian

Oublié aujourd’hui, Welcome to Julian a pourtant fait parti de cette vague française qui dans le courant des années 90 a proposé une alternative au rock.
Sans le savoir, Welcome to Julian, qui venait de sortir un maxi sur le label rennais Rosebud (qui deviendra célèbre pour héberger Kaolin ou Katerine), a ainsi participé à la toute première diffusion des Black Sessions, l’émission de Bernard Lenoir, le 23 février 1992. Présentant quelques versions de ces premières compositions, c’est surtout l’étonnante reprise du « In between days » des Cure qui retint l’intention. L’édition du Printemps de Bourges de 1990 sera une des toutes premières occasions de voir Welcome to Julian monter sur scène. Le groupe a également été à l’affiche de la deuxième édition de la Route du Rock, le festival de St Malo, qui à l’époque se jouait l’hiver, dans des bars et devant 2000 personnes seulement.
Le groupe faisait donc office de pionniers. Chantant en anglais, clairement inspiré des groupes shoegaze anglais, allant même jusqu’à enregistrer ses chansons à Londres, Welcome to Julian ne faisait rien comme les autres. Ce qui ne leur fit pas que du bien. En effet, on leur reprochait essentiellement de délaisser l’originalité de la musique estampillée France.
Leur premier album, sorti en 1993, fait figure de référence en matière de rock indé français. Formé de Lionel Beuque (chant et guitare), Jacques Guamin (guitare), Fred Gurnot (basse) et Philippe Deshaies (batterie), la formation parisienne signe là un recueil de chansons emballant, dont le son noisy et mélodieux fera école et influencera pas mal de formations à venir, notamment dans le rock français (par exemple Dalhia). A la fois nerveux et rêveur, « Never so close » rivalise de puissance et de délicatesse.
Par la suite, le groupe étrennera ses galons au cours de nombreuses tournées, qui les emmèneront aux Etats-Unis (Los Angeles, New-York, Philadelphie, Chicago). Toujours prompt à capter les styles et les modes de son époque, Welcome to Julian revient en 1995 avec un album qui sera plus « américanisé ». Véritable melting pot musical, « Surfin On A T’Bone », enregistré à New-York, verra se croiser des influences aussi diverses que le rock-fusion des Red Hot Chili Peppers, le noise de Sonic Youth ou l’esprit dépouillé et éclaté de Pavement.
Au même moment, leur label Rosebud, commençait à être sous l’égide de la major française Barclay. Certes l’album pu ainsi bénéficier d’une meilleure production et d’une large diffusion (même le Hit Machine de la chaîne M6 le présenta dans ses sorties de la semaine !), augmentant ainsi les ventes, mais cela se fit au prix de certains compromis. Condition nécessaire pour être distribué par un label français aussi prestigieux que Barclay, Welcome to Julian se devait d’écrire une chanson en français. Mais ne pouvant s’empêcher de jouer les troublions, le dernier titre « Connais toi toi-même » sera justement une virulente critique de cette pression. « Salut, je ne voudrais pas te prendre la tête le temps d'une chanson, je suis Français, et je dois me faire comprendre des Français, je dois chanter, je dois chanter, je dois chanter…cette chanson » : le tout sous une déferlante saturée.
Mais ce pied de nez fut l’affront de trop et le groupe disparut par la suite, même si l’on sait que depuis Lionel Beuque s’est lancé à la production. Bref, une trace en filigrane dans la musique actuelle, un peu comme tous ses compagnons de l’époque (qui se souvient des Skippies par exemple ?), qui malgré un rock méritant, ne seront destinés qu’à nourrir la nostalgie.

Discographie :

-
Welcome to Julian

- Never So Close

Welcome to Julian : Welcome to Julian



Welcome to Julian

Sortie : 1991
Produit par Welcome to Julian et Hervé Jegaden
Label : Rosebud

A l’époque des débuts, le groupe n’a de yeux que pour les shoegazers et cela s’en ressent. Au point qu’on reprocha au groupe de trop vouloir ressembler à ses modèles.
Quand bien même il ne s’agirait que de copier des codes usités, Welcome to Julian prend une coudée d’avance sur ses contemporains. Car il faut admettre la qualité de ces compositions, à l’image du brûlant « Higher ». En cherchant à se rendre accessible et à être direct, Welcome to Julian n’a rien à envier à ses références (Ride, Revolver surtout). Malgré un son rudimentaire et une voix pas encore tout à fait assumée, quoique légère, le groupe fait preuve d’un talent extraordinaire pour soigner de petites merveilles pop. Et il n’y a rien à jeter sur ce maxi, le premier sur Rosebud, qui se révèlera juste trop court.
Les parties de guitares sont excellemment bien exécutées, à la fois suaves mais glissant aussi dans la saturation, assumant parfaitement leur rôle d’accélérateur vertigineux. Lorsque elles s’apaisent, ce n’est que pour mieux repartir et provoquer un véritable maelström (« Heavy World ») ou pour appuyer une montée en puissance qui laissera éclater une complainte déchirante (le magnifique « Kiss Me »).
Titre ambivalent, « Bye Bye Childwood », remarquable de bout en bout, comprend en même temps énergie rentrée (le son bas et lourd de la guitare) et calme schizophrénique (les arpèges cristallins) jusqu’à atteindre une sorte de point d’orgue sensoriel confus où la grâce de la voix de Lionel s’estompe dans un nuage crade de distorsions. A se damner !
Des ressemblances avec le shoegaze anglais donc, mais le groupe a du culot et l’affiche : la ligne de basse en intro de « There’s a rainbow » marque les esprits avant que des éclairs de guitares ne viennent instaurer un climat à la fois glacé et à la fois majestueux. Car même si Welcome to Julian s’amuse avec un titre électrique et énergique (« I don’t mind »), il ne pourra s’empêcher d’y inclure quelques accords mélodiques de toute beauté et une nonchalance insouciante superbe de douceur dans le chant. Le groupe a beau se dépêtrer avec un son bouillonnant, il ne manquera pas de rendre le moindre fuzz rayonnant.
Après tout, c’est eux qui ont raison : « I don’t mind, I don’t care ». Welcome to Julian fait ce qui lui plait et c’est tant mieux !

20 décembre 2007

Fiche artiste de The Cakekitchen


The Cakekitchen
Ce groupe néo-zélandais n’est en fait mené que par un seul homme, le génial Graeme Jefferies, qui a pas mal bourlingué de par le monde, entre Auckland, Londres ou Paris, qui a connu pas mal de labels, d’abord Flying Nun, puis Homestead ou Merge,  et qui a côtoyé de nombreux musiciens, dont le nombre et l’importance ont varié au grès des albums. 

10 décembre 2007

Fiche artiste de The Julie Dolphin


The Julie Dolphin

Diane Swans, la chanteuse de The Julie Dolphin, est surtout connue pour avoir prêté sa voix sur une face-b de Radiohead, le somptueux « How can be sure ? ». Malgré l’insistance d’Ed O’Brien pour que celle-ci figure sur The Bends, on ne la retrouve que sur le single Fake Plastic Trees ou sur la version japonaise de l’album. Mais la notoriété à l’époque de The Julie Dolphin était tel, que tout le monde cru qu’en réalité la voix féminine entendue était celle de Ed, mixée et trafiquée, Diane Swans devenant alors l’équivalent phonétique pour Dying Swans (cygne mourrant).
Et pourtant cette femme existe bel et bien, puisqu’il s’agit d’une grande amie de Thom Yorke qui invita la formation shoegaze The Julie Dolphin à partager leur tournée. La silhouette derrière le clavier au concert à l’Astoria en 1994 d’ailleurs, c’est elle.
Dommage qu’il n’y ait plus maintenant que les fans de Radiohead qui connaissent The Julie Dolphin car leur EP « Roses » et l’unique album du groupe sont suffisamment sympathiques pour ne pas être snobés.
Grâce à eux, la formation, essentiellement le duo Brett Adams et Diane Swans qui s’est constitué à Londres en 1992, réussira à partir en tournée avec des groupes reconnus comme Green Day, Oasis (c’est d’ailleurs en compagnie de Liam Gallagher avec qui ils se disputaient qu’ils apprirent aux infos la mort de Kurt Cobain), Catatonia et d’autres. Leur single « Roses » (écrite à Queens Park) réussira à se classer « single of the week » par le NME et à être diffusé en boucle sur Radio One, la célèbre radio anglaise, par laquelle tous les groupes indé se devaient de passer. Quant à « Birthday », il se classera n°2, juste derrière Snoop Doogy Dog !
Un contrat passé avec Chrysalis Music permet au couple de continuer leur écriture, et ils présenteront alors plusieurs projets sous le nom de « Super Model Human » puis maintenant sous The Bads.

The Julie Dolphin : Lit


Lit de The Julie Dolphin
Sortie : 1994
Produit par The Julie Dolphin et John Cornfield
Label : Timbuktu Records

On pourrait s’attendre avec une voix aussi délicieuse et sexy que celle de Diane Swan à une musique soft modérant volontairement son ton pour ne pas froisser une certaine légèreté qu’on associerait par facilité à de la féminité.
Ce n’est pas le cas avec The Julie Dolphin. Les guitares sont vives et tranchantes, la batterie volontiers rentre-dedans, le tempo rapide, voire bousculant. Ça secoue dans tous les sens et quelque part le propos ne fait pas dans la dentelle, au regard des textes plutôt crus, ou bien de la lourdeur du jeu. Les roulements de batterie sont d’ailleurs assez systématiques. Pourtant, il ne faut pas s'y tromper : le groupe évolue dans une veine pop, immédiate comme dérangeante.

Dès « Kill Me », la charge est lancée. On joue avec les rythmes syncopés. On maltraite les guitares. Et au milieu de tout ça, Diane Swans se régale comme une enfant. Le ton est globalement plutôt froid, la faute à des passages plus lents qui marquent des coupures au sein de la dynamique du morceau, à la présence de quelques arpèges cristallins, à la voix grave de Diane Swans et surtout de la basse, marquée. Il est même souvent étonnant de voir surgir des arabesques graciles après des sautes d’humeur aussi perverses (« Cry for everything » ou « Welcome Black Lust », une réponse au grunge). The Julie Dolphin dégage une force sonnant presque américain, comme sur les tours de force vocaux de « Fucked up lullaby », tout en naviguant en eaux troubles, proche de la dream pop, comme sur « Hemisphere ». Mais on peut aussi tomber sur de vraies surprises, comme cette ballade à la guitare sèche où Diane Swans et son compagnon Brett Adams dialoguent ensemble et entremêlent leurs voix légères pour un folk onirique.
En filigrane, derrière tout ça, se cache tout de même une sensibilité plus voluptueuse, à l’instar de ces ballades incroyables comme "Alice", qu’on croirait piquées au groupe culte The Parachute Men (ahhh…… ses trémolos dans la voix…), qui prennent dès lors une ampleur démesurée sous le coup des guitares fracassantes et saturées. Il arrive même, de manière totalement surprenante que le groupe s’offre un écart, acoustique, accompagné d’une basse, dont les paroles seront chantées par Brett Adams, à la voix tout aussi légère, mais complètement shootée, avant un duo magnifique.
Les mélodies sont évidentes, simplistes, parfois divinement accrocheuses, à d’autres moments virant vers quelque chose de plus étirée, comme si pour Julie Dolphin insérait une bonne dose de punkette attitude dans une grâce habituellement plus poétique.

7 décembre 2007

Colm : 45 EP

45 EP de Colm

Sortie : 1992
Production : Amadou Sall
Label : Distorsion

Pas la peine de tourner autour du pot : le son y est pourri !
Boucan du diable, rythmique d’enfer, quasi punk, chant approximatif, grosses guitares saturées, nombreuses pédales d’effets, fuzz à gogo, distorsions, effet Flanger et j’en passe, jusqu’à obtenir des brûlots quasi défouloirs (« Never Smile »). On en prend plein les oreilles, ne seraient-ce qu’à cause de cette fougue qui ne stoppe à aucun moment, sauf pour créer des suspensions adorables, mais surtout à cause la piètre qualité sonore. C’est sale, joué avec entrain, parfois de manière fracassante (le génial « Starchild » et sa voix suave), mais bon sang qu’est-ce que c’est prenant !
Si pour l’instant, rien ne distingue Colm des fougueux branleurs que sont Ride ou The Boo Radleys, influences transparentes, des tentatives se porteront sur des mélodies propres aux franciliens. Le chant et les harmonies, à défaut d’être parfaitement maîtrisé, apporteront une douceur rafraîchissante à cette chape de saturations, notamment lorsque le tempo est beaucoup plus lent, porté sur la torpeur et le psychédélisme contemplatif («When I was a bird »).

On y entend un joyeux foutoir saturé, une version démo qu’on dirait tout droit sorti d’enregistrement dans le garage ou un local étudiant, avant que le groupe de Daniel Dauxerre ne se dote d’un son plus power-pop par la suite. Le manque de soin et de finesse de ce premier essai sera vite délaissé par ses propres auteurs, ce qui explique la rareté du vinyle ; il n’en sera tiré que quelques exemplaires. Dommage, car c’est négliger un titre tel que « Orange to green », dont la formule brouillage confondant, riff rugissant, passage aérien et petites voix fantomatiques, fait merveille.

25 novembre 2007

The Cakekitchen : Stompin' thru the boneyard


Stompin' thru the boneyard de The Cakekitchen
Sortie : 1994
Produit par Graeme Jefferies
Label : Merge


Pour celui-ci, Graeme Jefferies est en France et il est accompagné du batteur Jean-Yves Douet. Pour le reste, il s’occupe de tout : chant, guitare, violons, clavier etc. Car Graeme est un homme torturé, avant tout seul dans sa tête et sa musique s’en ressent.
Entraînante et tonitruante, s’offrant pour la première fois des saturations hérités du shoegaze (qui a clairement servi de nouvelle source d’inspiration), elle laisse tourbillonner des mélodies entêtantes et des bourdonnements de guitares mais il y a derrière elle, on le sent, on le devine, un spleen à peine dévoilé.
Conservant une structure d'un premier abord énergique et bien ancrée dans l'action (le punk « Mr Adrian’s lost in his panic attack » ou l’élégant « Bad bodied girl » au refrain fastueux) le groupe sème pourtant quelques touches qui plombent l'ambiance, comme ça, l'air de rien. En fait on a le droit à neuf plaintes qui ressemblent plus ou moins à des formats de rock accrocheur. Les parties de guitares, ce son saturé, ne sont le signe que d'un état d'esprit quelque peu désabusé. Un cynisme s'insinue malicieusement, que ce soit au cours d'énergiques brûlots (« Even as you sleep ») où le jeu à la guitare sèche se trouve interrompu brutalement et sans transition par des éclairs bruyant, au cours de quelques prolongements de saturations qui glissent tout du long, ou que ce soit pendant ces accroches, ces aspérités, cette frustration que l’on entend dans « This questionnaire », morceau post-punk, proche de ce que pouvait faire The Fall.
Le rythme rapide et rudimentaire, très années 80, les riffs entrainants à la guitare, la saturation de « Tell me why you lie » (certainement le morceau le plus emblématique de The Cakekitchen) prend l’apparence d’un tube fédérateur, s’il n’y avait pas la voix splendide de Graeme Jefferies : grave, profonde, chaleureuse mais suave et veloutée. Et quand bien même le refrain, magnifique et éclatant, finit par survenir, ce n'est que pour rajouter une dose supplémentaire à l’indolence qui imprègne l’album. Au lieu de forcer sa voix, Graeme Jefferies étire ses vocalises et en rajoute dans la suavité soufflée.
Mature, racé, le rock de The Cakekitchen impose d'entrée et sans détour une façon captivante de consumer la poudre. Pourtant il s'agit d'autre chose: ce n'est pas la fougue de la jeunesse qui parle mais un certain abattement, qui teint en gris toutes les compositions. Et une certaine grâce jaillit des moments plus calmes et des ballades névralgiques, aux mélodies plombées et somptueuses, comme sur « Hole in my shoes », sorte de blues crasseux ou de morceaux sadcore pesant, ou sur le magnifique « Harriet Row », lent, martial, à la batterie chargée, aux saturations croulantes et à la voix douce.  

On aurait dû deviner, et on s'en veut d'avoir été pris au piège, qu'en réalité, le groupe new-yorkais est parasité par une tristesse, qui va diffuser comme un venin. Mais c’est ce sentiment qui va également sublimer les morceaux, comme ceux du Velvet Underground dont Graeme est un fan absolu. Ainsi « Another Sad Story » (qui ne pouvait pas mieux porter son nom) se retrouve être un titre shoegaze poignant, un crève-cœur adorable qu’on chérit pour longtemps, de par ses saturations qui couvrent une guitare acoustique et une voix un peu éplorée, un vrai moment de chagrin poétique partagé. 

Half String : Tripping Up Breathing


Tripping Up Breathing

Sortie : 1995
Produit par Brandon Capps
Label : Independent Project Records


Brandon Capps se risque enfin à durcir son ton et à se doter d’une force supplémentaire sur les cinq chansons qui composent ce maxi. Comme pour se convaincre lui-même de son attachement à la réalité, alors que cela fait bien longtemps qu’il ne représente plus qu’un continent à la dérive.
Toujours aidés de guitares sèches et d’une surenchère d’instruments électriques, le rythme devient beaucoup plus tonique, tourbillonnant (« Quiet Like Seeds »), sans pour autant oublier les arpèges, véritables signatures du groupe (« Brief Like Photograph »). Avec « Evergreen », on dirait Moose à ses débuts, lorsque ceux-ci mettaient en scène une fuite en avant, mais sans conviction, juste pour regarder ce qu’il se passe lorsqu’on court. Le reste demeure contemplatif. Le dernier morceau, instrumental, fait appel à des sonorités étranges, évoquant le cold-wave.
La voix de Brandon Capps a quelque chose de fatigué, ce qui n’est pas sans évoquer le chanteur de Red House Painters. L’esprit n’est pas à la fête, il est juste en mode passif. Cela s’en ressent avec « Slipknot », beaucoup plus calme et reposé.
Cet EP paraîtra une fois de plus sur Independent Project, emballé dans une somptueuse pochette en carton (signé Bruce Litcher), comme la majorité des artistes signés sur ce label, renforçant cette musique rêveuse, sensorielle et parfois inquiétante, parcourue d’accords noisy, de guitares sèches ou de rythmes glacées.
L'intensité sonore se construit lentement et s'impose à coup d'ambiance délicate ou d'éclairs de guitares.

22 novembre 2007

My Bloody Valentine : Isn't Anything


Isn't Anything de My Bloody Valentine

Sortie : 1988
Produit par Kevin Shield
Label : Creation Records

A sa sortie, cet album fut un pur OVNI musical. Impossible de rattacher ce son à quelque chose de déjà connu. Encore un peu tâtonnant et hésitant, on fit pourtant beaucoup mieux par la suite, à commencer par le groupe lui-même, mais à l’époque tout restait à inventer. Et les premiers à s’y coller furent My Bloody Valentine.
Imaginez, on était en 1988, autrement dit la préhistoire, et déjà le résultat ébouriffant d’une torture faite à la pop. Guitares tranchantes comme des lames d’acier, samples plaintifs et voix angéliques sorties d’ailleurs : c’est à ne rien y comprendre. Pourquoi refuser la simplicité ? C’était la toute première fois que la pop était l’objet d’expérimentation, elle la pudibonde, la timoré, qui fricote désormais avec un arsenal inquiétant et un masochisme à faire froid dans le dos.
Lorsque les journalistes tombèrent sur « Soft as snow (but warm inside) », ils ignoraient à quel point ce titre collait parfaitement à la chanson. Ils restèrent tout simplement sans voix à l’écoute ce ces coups de batterie martelant, presque méchants et agressifs, de cette basse ronde qui s’efface devant ces guitares qui ne tracent aucun riff mélodieux, mais juste des plaintes déformées comme des machines industrielles déréglées. Morceau trippant, presque tribal, dont l’effet surprenant aux oreilles est renforcé par les chœurs de Belinda tout en chant de baleine, énigmatique et captivant.
Et ce morceau s’enchaîne immédiatement sur une douce ballade (« Lose my breath ») à la guitare sèche où la voix douce de Belinda fait des ravages, ponctuant ses couplets par des « ouh ouh ouuuuuh » ravageur et sexy. A peine deux chansons, et déjà, on est dans un monde complètement nouveau.
« Cupid Come » et ses guitares lascives qui introduisent un morceau de toute beauté, pleine de nonchalance esthétique (le chant à la fois suave et branleur de Kévin), n’arrange rien à l’affaire : à peine a-t-on le temps de s’attacher à une mélodie que celle-ci est noyé par un brouillage fait de fanger, de fuzz et de feedback. Pourtant ce jeu de guitare n’est pas crade ou brouillon (Kévin Shield était un maniaque obsédé de la production), mais plutôt surchargé, moite, intense. En témoigne « (When you wake) You’re still in a dream », titre vif, sonique, presque punk, si il n’y avait pas les choeurs de Belinda qui changeaient tout.
On se dit alors que l’on va retrouver un semblant de linéarité, un accessit plus évident et moins de propos abscons, on fait alors face à « No More Sorry », composé uniquement de samples, qui tremblent, qui remuent, qui gigotent, qui bouillent, qui glissent et dérapent.
On surprend au sein de cet album atypique des orages magnétiques, des guitares complètement saturées, des bourdonnements, des synthés pathétiques, pleins de bruits bizarres. Ça n'arrête pas. Pas l’ombre d’une seule chanson normale. Impossible de faire la liste exhaustive de tout ce que contient le disque. Chaque nouvelle écoute révèle un nouveau détail. A chaque instant on frise le génie, tant l’inventivité de ce groupe fondateur est débordante.
Parfois ça cogne, ça montre les crocs, ça arrache et ça fait mal, comme sur le single « Feed me with your kiss », mais à chaque fois on distingue derrière ce fouillis un semblant de pop et de refrain accrocheur, quand bien même les voix sont neurasthéniques. Les sous-entendus sexuels sont à peine voilés. En pleine orgie, sous l’emprise des drogues, le couple Shield / Butcher passaient leur passion sous un mixeur / broyeur sans aucune pitié. « You never should » ou l’excellent « Nothing much to lose » rivalisent d’urgence, de précipitation, de crachat sonore tout en maintenant préservé dans une bulle de pureté, un certain allant romantique et poétique. Le résultat de leur délire est compris en entier dans cet album, à la fois abject et à la fois d’une beauté fascinante.
Beaucoup de journalistes et de critiques musicaux eurent du mal à trouver les mots pour décrire des chansons de la trempe de « I can see it (but I can’t feel it) », ses guitares sèches plombées, ses larsens, et ce chant désabusé, accompagné de chœurs célestes. L’album ne ressemble en aucun cas à ses contemporains et encore moins aux canons commerciaux exigés par les grosses maisons de disque. Isn’t Anything est avant tout un album expérimental. Quitte à éprouver tout d’abord un sentiment de rejet. Mais après y avoir décelé quelques secrets (le jeu à la batterie de Colm O’Closoig est épatant) ou des timbres de voix à tomber à la renverse, on ne peut que succomber à l’ivresse tourbillonnante de ce disque.

14 novembre 2007

Fiche artiste de Planète Zen


Planète Zen

Le trio composé de Muriel Bonfils (chant), Stephan Haeri (guitare) et Christophe Chiabba (basse) a été un des premiers à pratiquer du rock shoegaze en France, et ce dès 1990. Une
 sorte de mélange pop-punk-shoegaze-indie, The Primitives rencontrant My Bloody Valentine

Lucie Vacarme : Metalvox EP


Metalvox EP de Lucie Vacarme

Sortie : 1991
Produit par Lucie Vacarme
Label : Lithium


Lorsqu'on est étudiants et que l'on reprend le "Freak Scene" de Dinosaur Jr (à l'époque totalement underground), on ne peut pas dire qu'on met tous les atouts de son côté pour percer. Déjà donc, le but de ces toulousains ne se situaient clairement pas dans la recherche de reconnaissance. Désireux de pousser le rock dans ses derniers retranchements, il s'employa alors à pratiquer une musique archi-criarde, saturée et brouillonne, à la limite de l'audible, notamment en concert. Comme il fallait bien commencer quelque part et qu'à l'époque son groupe était à la recherche d'une identité propre, les comparses estudiantins allaient plutôt fouiner du côté des bruitistes, de Sonic Youth à My Bloody Valentine, en passant par Mercury Rev. Le résultat ne fait donc pas dans la dentelle. Et malgré le soutien de Lenoir, Lucie Vacarme resta dans l'ombre et le reste encore maintenant, même si le guitariste Michel Cloup (avec Diabologum ou Experience) jouit d'une autre aura désormais. En effet pas énormément de jeunes écoutaient ce genre de musique, si loin des morceaux frelatés servis en soupe tiède à la radio.
Il fallait oser, pour le coup, écrire un titre comme "Encore Stéphanie", massacre sans ménagement, avec ses longs slides crispants, son riff entêtant et ses accélérations, sous lesquels se dégagent, chantée d'une voix douce, voire inaudible, des paroles en français, dont on ne comprend finalement pas un mot, tant tout est enseveli sous un nuage de distorsions tordues et tarabiscotées. On le jurerait pourtant : il s'agit bien de pop !
Cette radicalité en matière de recyclage des influences est une des particularités de Lucie Vacarme. Ainsi le vif "Freak Scene" sera chanté non pas d'une voix nasillarde, mais plutôt fatiguée et nonchalante, à la manière des groupes shoegaze. Le groupe se place d'emblée et sans le savoir parmi les défricheurs français. Les travaux sur le son, le collage des mélodies, le détournement, la perversité (en témoigne "Metalvox", ses solos distordus, ses guitares lourdes, sa rythmique instrumentale et surtout ses dérapages) serviront de mouture pour Diabologum, le futur projet de Michel Cloup.
En attendant de devenir un artiste conceptuel reconnu, le guitariste n'était alors qu'un étudiant amoureux de ses idoles et désireux de ne rien faire comme personne. Il y a une certaine manière de prendre les choses par-dessus la jambe chez ce garçon. Jouer fort, bruyamment, en cassant les mélodies (ces sirènes stridentes qui oscillent en permanence) mais s'en moquer, faire comme si ce n'était pas important comme si la vie n'en dépendait pas, car finalement la vie est morne mais vaut mieux en rire. Du coup, des paroles aussi naïves que "je ne regarde que toi mais tu ne me vois pas" prennent une tout autre tournure lorsqu'elles sont lâchées doucement au milieu d'un bordel sonore sans nom. Le morceau "Essaie De Comprendre", un de leur plus célèbre, est symptomatique de l'esprit du groupe : dialogue de mélodies à la guitare, couplet enchanteur, d'une langueur incroyable, rehaussé par des chœurs féminins en arrière fond, tout en étant écharpé par des distorsions foldingues. On vibre au beau milieu d'un univers mutin, infantile et capricieux. Voire passionnel. A l'image des shoegazers. Le morceau se lâche sur la fin et finit complètement sous le coup de crispations fracassantes, avant que les chants savoureux réapparaissent.
Comme si les quatre de Lucie Vacarme disaient aux gens : "Vous avez mal aux oreilles ? Et bien tant pis, parce que nous, on adore ça !".

4 novembre 2007

Planète Zen : Planète Zen


Planète Zen

Sortie : 1992
Produit par : The Rise and Fall of a Decade
Label : Single KO


Les titres font preuve d’un sens incroyable de l’accroche. Les mélodies se savourent comme des bonbons, malgré l’acidité des guitares. Certes la formule : distorsions + voix délicieuse (celle de Muriel Bonfils) peut paraître simpliste, surtout lorsqu’elle se décline sans peu de variations (toutes les chansons se ressemblent), mais elle permet d’offrir un allant, une fougue et une fraîcheur retrouvée à des mélodies naïves de simplicité.
Des titres enjoués, simplistes, assez courts, joués dans le rouge et recouverts de sons criards, voire même crispant, ne traduisent que l’empressement du groupe à se lancer dans la musique, quitte à brûler quelques étapes. S’arrêter sur les approximations ou le manque de complexité serait passer à côté du charme des chansons comme « Dreamland » (et la voix incroyable de Muriel), véritables bombes soniques, « Why we split » ou bien le lancinant « Solar Hammond ». 

Le mérite de Planète Zen, à défaut d’être original, est de remettre au goût du jour, une certaine idée de la pop, directe, franche, entière et sans maniérisme, presque punk. Car en réalité, le groupe ne se prend pas à la légère, comme le démontre certains titres (« J’aime pas les poufs »). On ressent pas mal l’influence de groupes comme The Darling Buds ou The Primitives en fin de compte, et il n’est finalement pas si étonnant que ça de noter la présence de « Denis », reprise de Blondie, envoyé pied au plancher et délicieux de minauderie. L’album cache même une petite ballade merveilleuse, noyée sous un déluge de guitares, « Slow », où le tempo ralenti et la voix féminine doublée font des ravages.

3 novembre 2007

Half String : A Fascination With Heights


A Fascination With Heights de Half String

Sortie : 1996
Produit par Ken Mari
Label : Independent Project Records


Il aura fallu pas moins de quatre années pour que le groupe provenant de l’Arizona puisse publier son premier album. Et le moindre que l’on puisse dire, c’est que ça ne ressemble en rien à une musique qui pourrait provenir de l’Arizona.
Adoptant des textures très soignés (ah ! la basse de « Shell Life ») et vaporeuses hérités de groupes anglais, Brandon Capps, faute de pouvoir quitter la platitude rattaché à son état natal, lancera son groupe dans une échappée folle, une cavale aussi bien dans la finesse que la majesté.
Seulement cela est tellement éloigné de ce qui se faisait à l'époque aux Etats-Unis que la formation ne trouva aucun écho.
D'autant que ce premier album ne survint qu'en 1996, au moment où le shoegazing n'était qu'un lointain et mauvais souvenir (pour la plupart des gens). Et ce n'est pas l'obscur et très arty label Independent Project Records qui allait aider la formation à trouver une large diffusion.
Mais cela convenait très bien à Bradon Capps, dont l'ambition réelle était de pouvoir pratiquer une musique personnelle, tout en restant le plus discret possible. Une musique rêveuse, innocente et vaporeuse, parfois nerveuse (« Backstroke »), même si les chants célestes évitent toute affectation rageuse (« Lolligag »). L'intensité se retrouve plutôt dans les arpèges cristallins, la sécheresse de la basse, le rythme souple et la multiplication des partitions de guitares, virant parfois à la création d'un mur du son enivrant (« Hurrah ? »). Plus que sur les premiers singles, le ton est concis, direct, dessinant des chansons accrocheuses (« A Fascination With Heights » prend ainsi des airs de bossa nova noisy), tout en gardant ce caractère volubile. Les textures s'envolent vite, notamment quand les saturations décollent ou que les guitares s'emballent. L'ivresse survient surtout lorsque l'ambiance se met en pause au cours de passages atmosphériques irrésistibles. Et que les parties de guitares dérivent de manière léthargique, composant un climat élégiaque, qui n’est pas sans rappeler des groupes anciens comme Felt ou Durutti Collumn.
Brandon Capps était tout aussi bien porté sur les groupes shoegaze dont il était adulateur mais il reconnaissait des influences flânant volontiers vers le post-rock, de Bark Psychosis à Savage Republic, en passant par For Against, groupe fondamental des années 80. De ces formations, il conservera le goût pour la longueur, la prédominance pour l'instrumental et les tendances compulsives pour contourner insidieusement tous les schémas structurels pré-conçus (« Departures », démarrant de façon grave avant de s’ouvrir au soleil). Il est ainsi surprenant de se rendre compte qu’il est difficile de se souvenir des mélodies entendues, comme s’il avait s’agit d’un rêve.
On sent l'envie de conduire sa musique vers une grâce chimérique, tant l'application à poser une ambiance légère et funambule se ressent partout.
A Fascination With Heights est l'album idéal pour se plonger dans de longues heures à flâner et dont les mystères se révèlent en fonction de sa disposition.

31 octobre 2007

Rollerskate Skinny : Horsedrawn Wishes


Horsedrawn Wishes de Rollerskate Skinny
Coup de coeur !

Sortie : 1996
Produit par Rollerskate Skinny et Aidan Folley
Label : Show Biz Records / Warner Bros


Réduit à un trio, le combo irlandais en profite alors pour se livrer à toutes les fantaisies. Ils ont de la chance : la major sur laquelle ils ont signée les laisse libre de leur action ; douce époque aujourd’hui révolue.
Tout ce qu'on peut constater c'est que ces gars sont fêlés, barrés et définitivement déjantés. On dirait des doux dingues échappés d'un asile. Mais on se laisse entraîner par leur entrain, leur grain de folie, tant tout cela est inventif et génial. Leur exubérance, leur goût pour le n'importe quoi, leur décalage, tout cela est contagieux.
Tous les morceaux possèdent le petit plus qui en font des grandes chansons aux guitares qui partent en vrille ("Cradle Burns"), aux tendances cartoonesques ("Swinging Yawing"), voire carrément irrésistibles ("Speed to my side" ). On ne sait jamais ce que la prochaine chanson va donner. Rollerskate Skinny s'assume dans son délire, dans son auto-dérision, sans forcément tomber dans la facilité ou la complaisance, maîtrisant à la perfection l'art du refrain à chanter par dessus et même la chanson langoureuse ("All Morning Break").
Ken Griffin le disait lui-même : « Echo and the Bunnymen rencontre les Beach Boys, époque Pet Sounds ». Il a peut-être raison mais dans cet album, il y a bien plus que ça.
Avec un sens de la débrouille et de l'expérimentation inouï, ce groupe anglais renouvelle les codes de la pop. Traitant avec une nonchalance folle les arrangements et les possibilités de production, Rollerskate Skinny mêle donc petits bruits insolites, boîtes à rythmes, xylophone, clochettes, grosse caisse frappée avec un marteau d’orchestre, et arrangements synthétiques à leurs guitares saturées et leur musique lumineuse et rayonnante.
Cet usage incessant de ce mur du son et autres subterfuges permet au groupe d'explorer toutes les facettes de leur envie : musique fanfaronesque ("Ribbon Fat"), douce berceuse qui se termine en feux d’artifice ("Bell Jars Away", on ne pouvait pas faire meilleure conclusion à l’album), bombes soniques coupé en son milieu par une évidence étincelante (« Shimmer Son Like A Star »), délire psychédélique (quasiment toutes les chansons) ou tout simplement titres pop irrésistibles ("Angela Starling " ou le magnifique "Thirsty European").
Rollerskate Skinny n'oublie pas d'apporter à son sens du délire juste ce qu'il faut de majesté. Ingénieux, certes, mais surtout suffisamment décalé pour se démarquer.


10 octobre 2007

Welcome to Julian : Never so close


Never so close de Welcome to Julian

Coup de coeur !

Sortie : 1993
Produit par Guy Fixen
Label : Rosebud / Barclay


Difficile d’affirmer sa personnalité lorsqu’on est un groupe français mais qu’on s’applique à reproduire les climats virevoltant de la pop outre-manche, au point de chanter en anglais, de plagier les pochettes des groupes shoegaze et de faire produire son premier album par Guy Fixen. C’est d’ailleurs bien se que l’on reprocha à Welcome to Julian : de trop se servir des formations anglaise comme modèle, crime de trahison pour le pays. On ajouta bien vite que le groupe n’avait aucune idée et qu’il lui fallait prendre le ferry pour en emprunter quelques unes.
Pourtant, Welcome to Julian a su défendre depuis le début sa part d’intégrité. Incluant tout au long de l’opus quelques intermèdes courts et surprenant (« Diamond » et sa guitare sèche ou les deux « Interludes », très planant), le groupe ne se borne pas à empiler les guitares par-dessus des chants sirupeux, il sait aussi faire preuve d’une originalité certaine dans la façon d’appréhender les choses. On retrouve ainsi une flûte sur le magnifique et enchanteur « Who’s », un groove hypnotique et des chœurs éthérées sur l’énorme montée en puissance qu’est « Is it a crime ? », des pédales wah-wah sur le très noisy-punk « Take it easy Eddie » (un instrumental de même pas deux minutes) ou bien un solo crasseux étonnant sur le fougueux « Higher ».
Mais ce qui dénote aussi, c’est la maturité du groupe, capable d’écrire de véritables perles mélodiques, savoureuses au possible lorsqu’elles entremêlent des cordes de guitares, parfois cristallines et oniriques, bien souvent saturées et puissantes. C’est avec des titres de la trempe du trépidant « Real Things » ou l’entêtant « Drop Dead Gorgeous », malade, vicié, tendu, avant de se faire fouetter par des lanières de guitares saturées, que le groupe dévoile sa face complexe.
L’espace de quelques instants, Welcome to Julian créé son monde, qu’il sait aussi fragile que fugace, malgré ses guitares. Un univers bien frêle, comme emporté par un vertige sonique, à l’instar du merveilleux « Lucky Star », avec ses voix absolument toutes douces, ses petits accords adorables et ses vagues de distorsions câlines.
« Don’t close your eyes, brave the world, the brillant world » sera-t-il marqué sur la pochette, comme pour rappeler qu’il y a sans doute trop de choses à voir, à faire, des miracles comme des bêtises, pour s’arrêter en si bon chemin.

7 octobre 2007

Fiche artiste de The Charlottes


The Charlottes
Lorsqu’on parle des pionniers du mouvement shoegaze, on pense bien évidemment à My Bloody Valentine mais on oublie bien souvent The Charlottes, qui avec leur single « Are you happy now ?» posa pourtant les bases du genre.
Formé en 1988 à Huntington, dans le Cambridge, le groupe rassemblé autour de Petra Roddis sera affilié d’abord à la vague noisy-pop proche de The Primitives, à défaut de pouvoir à l’époque définir leur style, qui finalement était plus proche du mur de son de My Bloody Valentine. C’est au cours d’un concert en novembre 1988, à l’Université des Arts et des Technologie, en compagnie de The Darling Buds et The Telescopes, que leur premier titre fut mis en vente. Même si seulement un quart du public présent se décida à l’acheter ce soir-là, il reçut le soutien de nombreux fanzines, et recevra même un éloge de Dave Simpson du Melody Maker, le qualifiant de classique du mouvement twee.

C’est à force d’enchaîner des performances remarquées à chacun de leur concert, qui débutèrent par un soutien de Snapdragons et qui furent suivi par une tête d’affiche lors du festival d’été du Cambridge, ou alors par la première partie de The House of Love, que le groupe se fit remarqué et pu enregistrer son premier single dans les studio de Peterborough.
Le single fut qualifié de « brillant » (Pop Eats Apathy), de « incroyablement inouï »
(Total Warpout ), voire même de « petit classique (Avanti), et même le magasine House of Dolls expliqua qu’on ressentait la même chose à l’écoute de la chanson que « si on était coincé dans le tambour d’une machine à laver ». Le single se vendit en moins d’une semaine. Il faut dire que l’art work y fut pour beaucoup, celui-ci ayant été conçu par le groupe lui-même. Des lettres de fans venus du Japon, d’Australie, d’Allemagne, d’Espagne, commencèrent à affluer. Et à Ispwich, le bassiste Dave Fletcher, le guitariste Graham Gargiulo et le batteur Simon Scott (qui se démarquait des autres pour être un fan de Soundgarden), encadrant la chanteuse charismatique Petra Roddis, ont donné l’envie aux membres du groupe Bleach de se lancer.
Mais il n’y avait pas que chez les fans que le single fit sensation.

Martin Whitehead, alors patron du label Subway Records, tombe sur le single et déclare dans un magasine qu’il s’agit d’un des trois meilleurs single de 1988. Il se dépêche alors de les rencontrer lors d’une première partie de The Flamates (un de ses groupes) en février de l’année suivante pour les faire signer. Il en résultera un mini-album, « Lovehappy », qui reçut la prestigieuse note de 9 sur 10 sur le NME, et qui leur vaudra d’être interviewés par John Peel lors d’un concert. Dave Simpsons déclarera avoir été impressionné par « ces distortions de guitares qui ressemblent aux roulettes des dentistes ». Quelque temps plus tard, ils enregistreront des black sessions sur Radio 1. Dale Griffin, le producteur de la BBC, jugera le son des guitares trop bruyantes mais il ne réussit pas à faire changer d’avis le groupe, ce dont John Peel se réjouit, ainsi que les fans. C’est que The Charlottes possédait maintenant un son distinct et reconnaissable entre mille. Ils furent parmi les premiers à créer ce fameux « mur de guitares », Petra n’hésitant pas à brancher la sienne, sans savoir forcément enchaîner des accords complexes. Progressivement le style s’éloigne de la direction commerciale des toutes premières chansons.
Les concerts étant de plus en plus fréquents, Dave Fletcher, qui cumulait également un poste de batteur au sein des Nightjars, annonce son retrait. Il sera remplacé quasiment au pied levé par Andrew Wade, un ami de Graham Gargiulo, qui apprendra les rudiments de l’instrument en une semaine, délai imposé car il fallait assurer une tournée de trente dates en compagnie d’un jeune groupe, fan de The Charlottes également. Pour la petite histoire, ce groupe en question, s’appelait Ride.

Un second EP « Love in the emptiness » sortira peu de temps après mais il sera largement moins diffusé, la faute à une promotion déficiente, et la sortie cumulée des premiers singles de Ride au mê
me moment. Le groupe rompt alors son contrat avec Subway pour passer sur Cherry Red, en mars 1990, dont la première parution sera le maxi « Liar », sortie qui sera accompagné d’une tournée et même d’un clip diffusé sur MTV, quand bien même celui-ci sera rudimentaire. Le tout récent label fait de The Charlottes sa priorité et ambitionne de sortir un album dans l’année. En décembre, ils démarrent des enregistrements au Minstrel Court Studio, mais lors des vacances de Noël, Simon Scott annonce qu’il s’en va rejoindre Slowdive. Les autres membres du groupe jugeant Simon essentiel, son départ marque ainsi la fin du groupe.
Dans quelques interviews données plus tard, Petra avouera être soulagée de mettre un terme à la formation, dénonçant au passage le harcèlement de certains journalistes (elle citera même des noms). Au regard des critiques élogieuses, on peut s’interroger, mais à rebours, lorsqu’on sait que The Charlottes multiplia les concerts dans Londres, supportant des groupes-amis, on comprend qu’elle fut en réalité excédé d’avoir été considéré comme parti prenante de cette scène « that celebrates hitself ». 
Comment ne pas s’indigner lorsque par exemple, Christophe Conte ose la décrire comme « hum, si corpulente, née sans doute d’une coucherie inédite, genre Jean-Marie Postier et Bannarama. » ?
Plus tard Cherry Red regroupera tous les enregistrements sous son nom sur le recueil « Things Come Apart » en 1991.

C’est la dernière trace de ce groupe fondamental. Au final, The Charlottes n’aura laissé qu’un petit testament, mais essentiel.

The Charlottes : Love Happy

Love Happy de The Charlottes

Sortie : 1989
Produit par The Charlottes
Label : Subway Organisation

Le titre "Cold" est court, percutant, rapide et un peu grossier, il faut la voix doucereuse (mais forte elle aussi) pour réussir à s'extirper. Il illustre très bien le style que voulait imposer The Charlottes : de la percussion (suffit d'entendre les roulements à la batterie, déchaînées) et énormément de saturations, mais à aucun moment, il ne faut s'en effrayer, au contraire, leur chanteuse Petra reste debout, droit sur ses jambes, et ne vacille pas, continue de scander ses chants légers, comme si de rien n'était.
Avec son côté innocent, "Are you happy now", c'est tout un hommage aux groupes comme Talulah Gosh ou Shop Assistant, avec les saturations en plus. 
D'ailleurs, la production rudimentaire va presque rendre service à ce premier album, encore un peu C-86, pas encore tout à fait shoegaze. Comme quoi il n'y avait pas que My Bloody Valentine à cette époque pionnière, et cela beaucoup l'oublie.
Pour le moment, et alors que le groupe est un des pionniers en matière de shoegaze, The Charlottes ignore encore quelle posture adopter, de la posture ou de la frivolité, à l'instar de "Keep me down". On n'est pas encore dans le sérieux et le côté épique, parfois, qu'on trouvera par la suite.
Comme si de toute manière, les guitares représentaient une force incommensurable, qui pouvait facilement tout submerger et que ça ne servait à rien de lutter. Qu'on pouvait même trouver du plaisir à se laisser noyer et qu'il fallait s'en amuser.
On dirait du punk. "In my hair" joue sur les coupures, sur le déferlement, sur les arrêts, comme pour dire, tout ceci n'est que de la musique, pas la peine de se prendre la tête, on est jeunes, et les ennuis sont loin...

The Charlottes : Things Come Apart


Things Come Apart de The Charlottes

Sortie : 1991
Produit par Martin Dice
Label : Cherry Red

Quand bien même, les guitares lâchent les brides et que les coups à la batterie martèlent, The Charlottes reste pop dans l’esprit, absolument pop. Impossible de s’en défaire.
Leurs chansons pourraient passer sous un déluge de saturations écrabouillant, on décèle toujours une légèreté dans le ton, qui est la marque d’un goût prononcé pour les mélodies rondes et chaudes.
De ce recueil des enregistrements sous Cherry Red, on retient essentiellement une bonne dose de lumière, de sucrée, de délicatesse et de violence à la fois. C’est que les choses vont vite, quelques mélodies envoyées pied en plancher, soutenues par un gros son, comme on n’avait osé à l’époque, tout en restant très accessible : le contraste est étonnant entre la finesse de la musique et la dureté des instruments ou du tempo, à l’instar de « Payer Song » ou « Beautify ». Il n’y a pas le désir de rendre les choses compliquées, de saccager le tout sous des dissonances, de se livrer à l’expérimental, juste le plaisir de brancher les amplis à fond et de n’avoir aucune retenue quant aux décibels employées.
Guitares plutôt chargées, voix féminine très plaisante, rythmique nerveuse, mélodies bien ficelées, tous les éléments sont réunis et permettent au groupe de Petra de produire une pop-rock hyper noisy mais de bonne facture (le sublime « We’re going wrong »). Simples, entraînants, hautement mélodiques, les titres charment d'entrée de jeu, sans se compliquer et en misant sur la mise en relief de refrains impeccables, grâce à un jeu tout en tohu-bohu. Les guitares saturées se mélangent énergiquement pour composer des ambiances tendrement dynamiques, sur lesquelles vient se poser la voix légère et fruitée de Petra Rodiss. On retrouve cette fausse douceur qui faisait l'attrait de cette époque intemporelle. Jusqu’à glisser discrètement vers un charme rêveur, comme sur « Love in the emptiness », presque hypnotique à force d’être dur et féroce, jusque dans le chant, qui prend des teintes graves et solennelles. Voire jusqu’à atteindre des sommets d’évasion intemporelle, où on dérive dans un état extatique, tout au long d’une montée en puissance extraordinaire, à l’image des neuf minutes de « By my side », à la mélodie envoûtante, qui finira par être noyée, et dont les assauts répétés, s’atténuent parfois pour mieux revenir à la charge ensuite et définitivement emporter l’auditeur au cours de tournis inouïs.
Mais on revient vite vers des choses plus concises, directes et simples, à savoir l’innocence et la naïveté pop, qui oublie tout et se complait dans sa propre chimère rose-bonbon (« Mad Girl’s Love Song » ou la reprise du « Venus », des Stocking Blue, en massacre en règle saturé). Et il est si bon de s’y vautrer et de savourer autant d’énergie, de puissance, pour finalement tenir des propos si légers et insouciant.
En effet ces chansons énergiques et balancées ne manquent pas de pêche et s'écoutent inlassablement. La part de rêve n’en ait que plus décuplée.

28 septembre 2007

Fiche artiste de Fudge


Fudge

Il était difficile, voir impossible, pour un groupe tel que Fudge, de s’imposer dans une ville comme Richmond où la seule musique qui s’écoutait depuis la fin des années 80 était du métal. Surtout lorsqu’on se dit fans du label Sarah Records.

 « C’était bizarre de faire de la pop à cette époque. On était vraiment considéré comme des poules mouillées » reconnaît David Jones, le guitariste du groupe. « J’aime le football mais j’aime aussi la pop de poltron, c’est comme ça. Je passais mon temps à réserver des places de concerts de chacun des groupes de Slumberland, comme Black Tambourine, et je me foutais des autres groupes »[i]. Ce qui l’a poussé à venir fonder un groupe, c’est sa rencontre avec Mike Schulman. A cette époque, celui-ci dirigeait un magasin de disques que fréquentait assidument David Jones. Le dirigeant du label Slumberland et quelques autres (Jenny Toomey, Kristin Thompson, ainsi que Mark Robinson) ont alors monté le Pop Losers Festival en 1991 qui fut déterminant dans le lancement de toute la scène indie pop de la côte Ouest américaine. Et bien-sûr il put voir la venue de David Jones, accompagné de Tony Ammendolia, dans l’espoir de saisir leur chance en tant que groupe tout fraîchement monté.
Dès leur arrivée à Alexandria, les deux comparses enregistrent quelques chansons sous différents noms (Engine #9 ou bien Twitch Hazel, avec la participation de Wally Heasley, futur Kurt Heasley de Lilys) et font passer le mot par bouche-à-oreille dans les universités, en évitant soigneusement les amateurs de métal.
Et le buzz se fait petit à petit. Ils se font d’abord aider par Archie Moore, autre patron du label Slumberland pour être diffusé. Puis Fudge, enfin un vrai groupe, suite aux additions de Steve Venable et Mike Savage, signe sur un label californien, en l’occurrence Caroline, et enregistre ce pétillant premier album en 1993.
On le sent, on le devine, aux lignes suivies qui refusent de choisir délibérément un camp, que Fudge se laisse tenter aussi bien par le shoegaze anglais, que par les tendances indie américaine. Tony confirme : « Nous ne sommes pas des shoegazers. Beaucoup de gens nous voient comme ça mais nous sommes plus un groupe de rock traditionnel dans notre façon d’appréhender la musique. On ne reste pas comme des piquets à regarder nos pieds »[ii].
Cette volonté de se démarquer du shoegaze allait conduire jusqu’au deuxième album, « Southside Speedway », qui finalement ressemblera beaucoup à ce que faisait les groupes power-pop de l’époque. Le problème de Fudge fut de vouloir plaire au public de Richmond, principalement constitué de kids en mal de gros sons. Mais après tout, n’était-ce pas là le lot de tous les groupes d’indie pop qui ont succombé aux charmes des majors ?« Le piège dans le milieu indé, c’est de se croire obligé de changer perpétuellement, au risque parfois de se dénaturer » regrette David Jones. « Mais on se rappelle de tous ces gens qu’on a connu et qui nous ont apporté beaucoup »[iii]. Les regrets, donc, on y revient toujours. Mais pour avoir été en marge de la scène de Richmond et avoir contribué, en matière de pionnier, à l’émergence de la pop indie sur la côte Ouest des Etats-Unis, quand bien même l’histoire se terminera de manière bancale, la tentative de Fudge ne peut être que saluée.



[i] David Jones, référence perdue.
[ii] Tony Ammendolia cité par Tony Norman, sur Pittsburgh Gazette, 11 mars 1993, [en ligne] http://articles.chicagotribune.com/1993-03-11/features/9303191171_1_fudge-band-fuzzy-guitar
[iii] David Jones, référence perdue.

Fudge : The Ferocious Rhythm of Precise Laziness


The Ferocious Rhythm of Precise Laziness de FudgeSortie : 1993
Produit par Fudge et John Morand
Label : Caroline

Pour un groupe américain, qui plus est, basé à Richmond, les guitares sonnent beaucoup trop claires, les voix trop douces, et pourtant certains passages se livrent à des explosions, en prise avec le concret, dévoilent des riffs bien sentis et soubresauts brûlant, sans pour autant patauger dans la lourdeur. Clairement Fudge semble avoir envie de signer là un ensemble de titres pop efficaces et mélodiques, et pourtant son album ne ressemble à aucun autre !
De la power-pop, certes, mais qui passe sans accrocher, à cause d’une identité pas assez marquée. Et puis, progressivement le charme agit : l’atmosphère de « Peanut Butter » intrigue et séduit, ensuite ce sera le volontiers direct « Wayside » qui stimulera les récepteurs auditifs, avec son refrain à gros sabots, ses grosses guitares libératrices, son fuzz gras irrésistible. Le groupe, quand bien même ne s’amusera jamais à alourdir d’un demi-gramme son chant, gardera toujours les pieds ancrés au sol, pour donner un souffle plus rock à ses compositions. Ce sera le cas par exemple avec « Pez » ou « Drive », à la batterie particulièrement mis en avant, aux riffs évoquant tant le grunge que l’emorock et aux refrains simples, voire simplistes.
Cependant Fudge ne voudra rien faire comme personne, ou tomber dans la facilité, ce qui lui vaudra quelques choix peu judicieux, comme le passage groovy de « Wayside », les claviers fous et ses chœurs grotesques qui gâchent un peu le final de « Mull » ou le dub expérimental « 20 – Nothing Dub », tout à fait dispensable. Mais ce goût pour sortir des sentiers battus de la pop mélodique se ressentira au cours de morceaux absolument splendides, aux climats mi-tendus, mi-évasifs, absolument jouissif.
On retiendra tout d’abord « Oreo Dust », qui ouvre l’album de manière excitante, avec cette voix douce mais claire et distincte, ces réverbs distordues, cette batterie, et surtout son refrain éclatant, qui explose à la figure, avant de vite être coupé par un relâchement et de reprendre à nouveau, etc…
Puis également l’épique « Astronaut », dont les guitares semblent en totale liberté et se laissent aller alors à l’expression de plusieurs humeurs : tantôt tranquilles, tantôt fougueuses. Accords doux qui accompagnent un chant gracieux et léger, égrenages de notes à la guitare sèche ou bien vortex électriques : on trouve de tout et l’ensemble s’enchaîne pourtant à merveille. Par moment, les guitares peuvent exploser en gerbes saturées, scellant ainsi l’emprise du groupe sur l’auditeur. Après, il ne sera plus question de le lâcher, le laissant dériver lentement au cours d’un passage aérien, soutenu par un harmonica magnifique, qui s’achève en déflagration inouïe.
Fudge surprend. Là où attendrait plus de prise de position en faveur d’un rock simple et efficace, le groupe fait l’inverse et enchaîne les morceaux fougueux à d’autres plus rêveurs et attentistes. Après un « Mystery Machine » par exemple, catchy à souhait, le groupe poursuit avec un doucereux « Mull » accompagné de violons et aux voix doublées et virginales. Difficile à suivre donc, pour ceux qui voudraient qu’on balise le chemin.
Mais Fudge n’en est pas là, et s’amuse. Avec ses références, avec sa simplicité et son écriture, qui tout en s’appuyant sur une certaine réalité, n’oublie pas parfois de rêver un peu, le groupe affiche une attitude dilettante mais exquise. Au regard de « Snowblind », un final dont on ne pouvait pas mieux rêver, concluant l’album sur un contre-pied : une envolée lyrique, soyeuse, au riff triste dont le slide hypnotique finit par se perdre dans un souffle de vent.

Fiche artiste de SIANspheric


SIANspheric


Adeptes des atmosphères léthargiques, inspirés à la fois du shoegaze de Slowdive et du space-rock de Windy and Carl, voire des Boards of Canada, les membres de SIANspheric ont distillé une musique particulièrement planante durant plus d’une décennie maintenant.

Leur façon d'étirer leur musique cosmique et leur son, parfois très lourd, dépasseront les cadres déjà connus, pour explorer de nouveaux espaces d'expérimentation, qu'à défaut, on nommera post-shoegaze.
Le groupe a toujours été rattaché au label indépendant Sonic Unyon, qui leur permet de sortir leur premier album en 1995, un an après leur formation à Toronto, au Canada. Mais c’est surtout grâce à de très nombreux shows, dans leur pays essentiellement, que SIANspheric assoit sa notoriété. C’est vers cette période que Sean Ramsay (chant et guitare), Steve Peruzzi (basse et chant), Paul Sinclair (guitare) et Matt Durrant (batterie) se lieront d’amitié avec Swervedriver, dont ils ouvrent les concerts. Ils resteront en contact avec Adam Franklin, avec qui ils enregistreront un split-album.

Avant cela, le groupe connu quelques changements de line-up : arrivée de Jay Patterson à la basse et de Locksley Taylor à la guitare), ainsi que l’enregistrement d’un troisième album, encore plus porté sur les climats éthérés.
Une collaboration se fera entre le groupe et celui d’Adam Franklin, Toshack Highway, dont le résultat fut un album en commun, sorti en 2003. « Magnetic Morning / Aspirin Age » réserve donc les cinq premières chansons à l’écriture d’Adam Franklin, les autres à SIANspheric.

Par la suite, un DVD comprenant des extraits de concerts, des faces-b et quelques unes de leurs chansons dans une version retravaillées paraîtra en 2006. Pour l’instant, un nouvel album est annoncé.

SIANspheric : Somnium


Somnium de SIANspheric
Sortie : 1995
Produit par The Shimmer Twins, Rob Sanzo et SIANspheric
Label : Sonic Unyon


Le rythme lent, soporifique presque, permet de créer tout l’espace nécessaire à la coulée de fluides, vagues de guitares féeriques et irréelles, de bulles fantomatiques ou autres épanchements cosmiques (« This window », étiré et flottant). Et lorsque les guitares se crispent et que le volume sonore est poussé au maximum, l’effet psychédélique n’en est que plus saisissant, en témoigne le superbe morceau d’ouverture, « Turbulent. Hydrodynamic ».
Sianspheric évolue dans des univers chers au space-rock, à la dream-pop ou encore au shoegaze qui commençait tout lors à disparaître. Autrement dit, ça prend son temps. Calme et relaxation sont les maîtres mots au cours de ces chansons (ou plutôt plages sonores) qui allongent les durées au-delà des cinq minutes, voire vingt pour le morceau de conclusion. « Where the planets revolve, I wish I was there » est une odyssée fleuve d’ambient et de space-rock, tranquille, répétitif et nonchalant. Album idéal donc pour rêvasser paisiblement et se laisser dériver.
Le champ libre est laissé à l'épure, l’amplitude, la lumière, avec pour objectif clair d'envoûter un maximum. La retenue sidérante dans l'utilisation de la batterie ou des percussions et le contournement des guitares en forme de bulles de savons n'en finissent pas d'étonner (« Broken man » ou « Zoe », la seule chanson qui fasse appel à des guitares sèches). L'intervention des instruments ne sert pas à définir des lignes distordues mais plutôt un axe droit, savamment dessiné et enrichi de pluies d'or, de volutes magiques et d'ambiances lourdes. Les voix sont lointaines, non pas dans l'intensité mais dans les intentions. Douces, ouatées et presque lasses, elles ne prennent jamais les devants mais concourent à souligner délicatement l'ambiance céleste de cette musique. « The stars above » n’est que l’expression de guitares féériques, tandis que la batterie reste émoussée.
Et lorsque les guitares ne se retiennent plus et qu'elles s'emballent pour un mur du son gigantesque, lourd, pesant, métallique, tout en tempête ultra-carrée et maîtrisée à la perfection dans ses coupures, on vacille sur nos repères. C’est le cas pour « I like the ride » avec ses saturations tonnantes ou « Needle » dont le début aérien ne laisse rien présager du déboulé cyclonique d’un riff énorme. Comme berceuse, on a connu plus doux. Mais l'intensité participe grandement à rendre cet univers nébuleux plus concret et subtil. Sur « Watch me fall », l’intro est frémissante, avec maracas, guitares spatiales, voix hagarde façon The Verve à leurs débuts, puis une immense saturation déboule sans prévenir, s’imposant comme une énorme masse froide et gluante.

L'effet de fascination n'est donc jamais rompu.

22 septembre 2007

Fiche artiste de Chapterhouse



Chapterhouse

Ces petits jeunots de Reading ont souvent été considérés comme les protégés de Sonic Boom (leader des Spacemen 3) qui s’était pris d’affection pour eux. Se faisant la main en première partie des Spacemen 3, partageant le même manager, et le même label Dedicated (sub-division de BMG), on les soupçonna d’avoir bénéficié de pistons. Les premières chansons utilisent d'ailleurs des subterfuges shoegaze qui peinent à masquer leur côté psychédélique crasseux. Ce ne fut donc qu’après leur troisième single (le sublime « Pearl » où figure Rachel Goswell) que Chapterhouse apparût comme un des groupes les plus talentueux de sa génération. Le son, moins brouillon, se drape d’ambitions, tout comme de grâce, ce qui surprend de la part de gamins qu’on avait regardé de haut jusque là. Ils osent même mélanger la féerie aux beats artificiels des boites de nuit. Et à posteriori, leur opus Whirlpool figure parmi les plus grandes réussites du genre. Ce qui ne sera pas le cas de leur deuxième album Blood Music, plus orienté electro-danse, sorti juste avant que le groupe ne se sépare. Bien dommage pour un second couteaux qui aurait mérité d'être à la même place que les grands du mouvement shoegaze.

21 septembre 2007

The Boo Radleys : Everything's Alright Forever


Everything's Alright Forever de The Boo Radleys

Sortie : 1992
Produit par Ed Buller et The Boo Radleys
Label : Creation


Dès le départ on sent que le groupe a décidé de surprendre : les guitares sèches hispanisantes de « Spaniard » déstabilisent d’entrée, avant que la voix douce, très apprêtée, de Sice ne vienne ajouter une dose de majesté éblouissante à cette toute petite berceuse qui se conclu sur un superbe concert de trompettes.
Un morceau, en ouverture qui plus est, et on navigue loin des eaux territoriales. La seconde d’après et c’est un tonitruant « Toward The Light », court et fugace, qui assomme l’auditeur, avec ses saxos complètement barrés. Et ce n’est pas un « Losing it (song for Abigail) » qui va changer la donne : étrange, expérimental, basé sur des superpositions de sons et de samples, avant de s’éteindre et de laisser la place à une seconde partie plus douce et vaporeuse, sans cesse interrompu par des claviers cheap, évoquant les bruits des premières consoles de jeux.

Ce deuxième opus se révèle très éclaté, tentant trop de choses en même temps, bouillonnant, incapable de se concentrer sur une idée à la fois, passant vite à autre chose, ce qui est probablement à l'origine d'un manque d'unité. Il n’en demeure pas moins un amour pour les guitares, leur capacité à déclencher de vives secousses et leur son si saturé, si déchirant, au service de chansons pop miraculeuses et à haute valeur psychédélique. Sice, à la voix toujours si légère, tient la barre, soutenu par ses acolytes disciplinés mais on embarque pour ce qui est une traversée sans retour, dans des mondes imaginaires et bariolés. Album cosmopolite, Everything’s Alright Forever se veut un fourre-tout, sans qu’on puisse savoir ce qui va venir, à l’image de la magnifique chanson à tiroir « I feel nothing », dont quelques arpèges à la guitare sèche sortent d’un brouhaha de distorsions, pour être ensuite noyé par un vombrissement énorme.

Emmenées par un rythme effréné, des guitares qui sont utilisées pour dresser des arias sonores recouvrantes et un chant doux comme un nuage, des perles comme « Does this hurt ? » ou « Lazy Day » sont de purs régals de bonheur pop. Derrière les couches de guitares se cachent toujours quelques surprises, comme une guitare acoustique (« Firesky »), des voix trafiqués, qui se répètent, détraquées (« Room at the top ») ou des passages langoureux (« Paradise »). On a la tête qui tourne à la fin, tant on a été bringuebalé tout du long.
Bénéficiant, enfin, de moyens de production à la hauteur de ses ambitions, Martin Carr trouve là un son de qualité pour ses brises de saturations et autres tempêtes qui baignent l’album. On aboutit alors à un résultat qui relaxe et apaise les esprits, comme sur le diptyque « Firesky » / « Song of morning to sing », où le premier se languit dans le brouillage, tandis que l’autre, étonnement clair, se mue en douce ballade qui monte en puissance… avant de vite retomber.

Même si on connait de The Boo Radleys volontier les albums suivant "Everything's Alright Forever" ne démérite pas à côté et mérite qu'on lui rende son titre de chef d'oeuvre du shoegaze.

19 septembre 2007

Fiche artiste de Black Tambourine


Black Tambourine

Aujourd’hui culte et respecté, le label Slumberland fait figure de modèle d’intégrité et de définition du mot indépendant. Il ne serait rien sans Black Tambourine. Autour de la chanteuse Pam Berry, on retrouvait le guitariste Mike Schulman, le bassiste Archie Moore (qui auparavant appartenait à Velocity Girl ; le monde est petit) et le bassiste Brian Nelson (initialement chez Whorl ; décidément…).
Mais en fin de compte, à l’écoute de ces chansons géniales, noisy et naïves dans leur absence de prétention, on se dit que ce sont beaucoup de choses qui n’auraient pu exister sans Black Tambourine. On pense à une certaine idée de la joie simple et enfantine que peut procurer la musique dans tout ce qu’elle a d’innocente et de préservée.

Black Tambourine : Complete Recordings


Complete Recordings de Black Tambourine

Indispensable !

Sortie : 1999
Produit par Black Tambourine
Label : Slumberland

Certes, ce n’est qu’un recueil de dix titres pas plus, deux singles et des chansons parus sur des compilations, pour être précis, le tout pour une durée qui n’excède même pas vingt-cinq minutes, mais c’est déjà beaucoup.
Pour se rappeler au bon souvenir de son groupe fétiche qui l’a accompagné à ses tout débuts, le label californien, Slumberland, se décide de rassembler toutes les chansons écrites par Black Tambourine au cours de son existence. Exercice pas si difficile que ça, puisque l’anthologie ressemblera à un maxi, ou tout au plus à une démo.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit : des démos. Le groupe n’aura pas de carrière plus longue. Il ne s’agira donc pas des démos du groupe, mais bien au-delà, des démos de tout un pan de l’histoire du rock américain qui commençait à prendre forme. La naissance de l’indie pop, celle des miséreux, des cœurs sensibles sans le sous, qui se cramponnèrent à l’éthique lo-fi pour imposer leurs idées chaleureuses à un monde trop froid.
Une voix magique et céleste, parfois mutine, (celle de Pam Berry), quelques guitares saturées et particulièrement crades, une basse rebondissante, une batterie hyper basique qui se contente d’enchaîner les coups sourds, de la fraîcheur et surtout beaucoup de talent: ce groupe américain avait compris qu'il ne suffisait pas de déployer des moyens énormes pour écrire de belles chansons.
Des titres comme « I was wrong » ou « We can’t be friends » sonnent comme un clin d’œil à tous ces groupes anglais, comme The Jesus and Mary Chain mais aussi The Primitives, Shop Assistants ou 14 Iced Bears (dont le groupe se disait très influencé), avec leurs guitares saturées, qui pervertissent juste ce qu'il faut les mélodies chatoyantes des morceaux. Il n’y a rien à redire. Tellement frais, tellement innocent et tellement mythique qu'on en redemande sans cesse. Et on ne cesse de découvrir alors ces trésors originaux et pourtant si élémentaires. Sur cet opus on y trouve une valse improbable (« Drown »), une petite bombe sonique (« Throw aggi off the bridge »), une complainte éthérée incroyable et sublimement frappée de saturations (« By Tomorrow » et sa basse lancinante qui hante encore les esprits), un joyaux langoureux bercé de fuzz et de distorsions (« Black Car ») mais également un morceau particulièrement étrange, à la basse increvable qui glisse imperceptiblement vers le cafouillage sonore tandis que le chant tente désespérément de se maintenir hors de l’eau et de conserver sa grâce (« Pack you up »).
Toujours aussi déséquilibrées dans l'esprit et fulgurantes dans la forme, ces chansons éternelles sortent du lot par leur éloquence fragile et brouillonne. Dans une atmosphère attachante, ces pauvres rêveurs ont su donner ses lettres de noblesse à une pop impudique, mal dégrossi et ultra simpliste. C'est frais, spontané et irrésistible.

16 septembre 2007

Fiche artiste de Stereolab


Stereolab
Stereolab a toujours flirté avec l’expérimental, n’hésitant pas à baser ses chansons sur des boucles sans cesse répétées et très psychédéliques. En plus influencé par le kautrock, on retrouvera également des affinités avec l’electro-pop-kitch (la clavieriste Catherine Gifford ayant joué un rôle prépondérant dans le style du groupe), le shoegaze, l’easy-listening à la Bacharah, la pop française des sixties, le bossa-nova, le jazz, l’expérimental et la musique contemporaine.
En cela, ils seront la définition du post-rock. Réputé groupe intellectuel, les albums et les singles auront du mal à se placer au sommet des charts. La signature sur la major Elektra prendra fin, les obligeant à monter leur propre label Duophonic. Ceci dit, leur notoriété dans le milieu underground anglais leur permettront des collaborations avec des artistes aussi divers que Blur, Nurse with Sound, Tortoise ou bien le sculpteur Charles Long.

Chouchou des critiques de rock, Stereolab se vit néanmoins reprocher des textes engagés, voire marxistes. Malgré sa défense, Tim Gane se revendiquant des mouvements Situationniste et Suréaliste, le leader des Stereolab sera critiqué pour transformer ses chansons en slogan. En témoigne le titre « Ping-Pong » sur l’album « Mars Audiac Quintet», sorti en 1994, qui sera objet de la plus vive polémique.
Musicalement, le style du groupe, basé sur des boucles hypnotiques, qu’elles soient composées de guitares noisy ou de claviers, fournira pour beaucoup matière à s’évader dans des atmosphères indolentes.

C’est lors d’un concert à Paris de Mc Carthy (groupe qui participait au mouvement C-86), que Tim Gane, qui en était alors le leader, rencontre la jeune française Leatitia Sadier. Désireuse de se lancer dans cette histoire d’amour (le couple aura un enfant en 1999 avant de séparer deux ans plus tard) et lassée de la scène indépendante française, elle se décide de le suivre et de s’installer à Londres. A eux deux, ils formeront Stereolab, s'essaieront au shoegaze et débuteront sur le label Too Pure, qui venait tout juste de se monter (c’est le label Slumberland qui assurera la diffusion aux Etats-Unis). De nombreux collaborateurs participeront à l’aventure, dont Sean O’Hagan, qui s’en ira former The High Llamas ou la chanteuse australienne Mary Hansen (décédée en 2002 lors d’un tragique accident de la route).



Stereolab : Switched On


Switched On de Stereolab

Coup de coeur !
Sortie : 1992
Produit par Stereolab
Label : Too Pure / Slumberland


Le label Too Pure eu la bonne idée de publier ce recueil des premiers singles du groupe à peu près au même moment que leur premier album. Ils reprennent l'esprit volatil du shoegaze, passé sous un mixage particulier, celui du krautrock. Et permettent de voir comment le mouvement shoegaze a été la rampe de lancement des folies du groupe, à grand coup de loops de guitares saturées et de dédoublement de voix légères. Ces chansons sont toute basées sur des boucles de guitares tranquilles, lancinantes, sur lesquelles vient se déposer comme du velours la voix grave de Laetitia Sadier.
C'est donc avec un réel plaisir que l'on découvre les perles originales que sont « Super-Electric », « Au Grand Jour » (et les voix graves qui se répondent) ou « Brittle », sortes de bonbons sucrées, enrobés de furia électrique, de basse proéminente et de saturations sans fin. Laetitia Saddier chante avec un sérieux des plus ensorcelants, quelque part entre la voix de Nico, une morgue toute française, et la légèreté éthérée de Miki Berenyi, d’autant que sa voix est parfois doublée (l’inconnue Gina Morris) pour des vocalises angéliques. Toujours très douces et agrémentées de claviers kitch, les chansons de ce recueil s’amusent avec l’art des boucles sonores, aboutissant à des climats aériens étourdissants, dont la langueur envoûte. 
La basse et les arpèges noisy de « The way will be opening » sont fascinants, tout comme les chœurs mystiques de « Contact », appuyés par une batterie métronomique, qui se terminent sur un final long et savoureux. Le rythme y est globalement indolent, pour insuffler une sorte de torpeur à l’auditeur et l’emmener vers un état à la fois relaxant et déconcertant.
On en oublierait presque la réalité physique de tout ce qui nous entoure, des agacements quotidiens, des doutes fugaces, pour ne se concentrer que sur cette musique brillante. Moment de grâce placide et pure évasion séminale, « High Expectation » et ses ‘’I’m sorry’’ hoquetant, figure une indolence telle qu’elle ensorcelle. 

La répétition hypnotique est le maître mot de Stereolab dans une veine influencée par le krautrock mais qui reste feutré, doux et presque enchanteur de par les superbes parties de guitares noisy d’une intensité transcendantale.