30 avril 2007

Majesty Crush : Love 15


Love 15 de Majesty Crush

Indispensable !

Sortie en : 1993
Produit par Micheal et Andrew Nehra, Dave Fenny et Mike E Clark
Label : Dali

Sans doute est-ce la poisse qui est à l'origine de la faillite de Majesty Crush. Ou peut-être un mauvais sens de la gestion. Ou tout simplement une inadéquation totale avec le style de son époque.
Le guitariste Mickeal Segal le dira lui-même: comment s'imposer face au grunge ? Et qui plus est en étant basé à Detroit dans le Michigan, qualifié ‘d'anus de l'univers' ? Pas évident donc. Surtout quand on a à sa tête un personnage haut en couleur comme David Stroughter. Obsédé sexuel notoire (on se souvient de son single "Cicciolina" tout simplement dédié à l'actrice de X italienne), ce chanteur charismatique et quelque peu fêlé aura donné un ton particulièrement déroutant et savoureux à la musique de son groupe, devenu sur la foi d'un seul album et à la suite de nombreux concerts, absolument culte pour les initiés. Mais ses textes sulfureux, ses allusions continuelles pour la pornographie ou les joueuses de tennis, ses discours énigmatiques n'auront pas contribué à faire dépasser l'aura du groupe au-delà des radios locales.
Il faut dire aussi que la musique du combo américain n'a pas aidé: trop aérienne, profonde, lumineuse et intense pour accrocher les radios FM. Pourtant le groupe sait trouver des mélodies enchanteresses à partir de deux ou trois accords cristallins posés là comme des ambiances. La rythmique du bassiste Hobey Echlin et du batteur Odell Nails III (tout deux ex-Spahn Ranch) est étonnamment puissante, tandis que la guitare de Mickeal Segal couvre le tout d'un nuage ombrageux et lyrique de saturations. Majesty Crush fut un des rares groupes à prolonger et à s'inspirer des grâces du courant shoegaze et c'est aussi une des raisons de son manque de notoriété. Trop évasives, trop sensuelles, les chansons n'ont su trouver un écho, alors qu'elles sonnaient de manière magistrale, entre rêverie et déluge fracassant.
Tout d'abord les compositions, toutes magnifiques, très riches mélodiquement et où la douceur s'allie à merveille au son noisy-pop, basse et guitares saturées en avant, sont de vrais moments de bonheur planant.
Ça commence fort sur « Boyfriend » avec un bruit fort et un roulement de batterie, avant de tout à coup subir une décompression subite qui fait tourner la tête, comme lorsqu’on descend brusquement après une montagne russe. Ici la basse joue un rôle prédominant puisque c’est d’elle que vient cette ambiance d’apesanteur. La voix rentre, d’un souffle chargé d’intensité, comme à la suite d’un effort physique, ou dans la confidence au lit, après une nuit passée à faire l’amour. Et ce qui est d’autant plus pervers que les textes portent sur la torture du petit copain d’une fille. Charmant.
On a du mal à le croire avec cette ambiance aérienne et rêveuse, mais le discours énoncé est particulièrement subversif. Il faut absolument se concentrer sur les paroles, le « I’ll kill the President for your love » ne pouvant laisser de marbre.
Les morceaux sont tous magnifiques, puissants et évocateurs, à l’instar de « Uma » ou « Penny for love », et certains s’évadent jusqu’à des sommets de poésie hypnotique, chargé de brume psychédélique, comme « Seles ». Lorsque l’intensité est à son comble, il faut presque retenir son souffle, et les titres prennent alors une dimension épique, « Grow » par exemple. Pas à un seul moment l’intensité ne retombe, et l’on reste sidéré par tant de qualité de bout en bout, qui nous emmène jusqu’à un final, « Horse », quasiment orgasmique, avec ses petites touches de piano qui bercent un passage atmosphérique et planant, coupant un mur du son rempli de guitares, absolument décoiffant, avant de s’achever sur la déliquescence la plus cristalline.
Love 15 est une œuvre magistrale qu’il faut immédiatement découvrir et dont on s’attache comme d’un coup de foudre. Marquant et inoubliable. On revient sans arrêt vers cette écoute, pour le plaisir qu’elle procure, mais pour cet univers attachant lié au groupe, sans doute mésestimé ou jouant de malchance, et dont l’authenticité nous rapproche et nous attache en un lien unique.
Le climat de l’album, et ses nappes de guitares, son tempo viril et sa poésie à double sens, envoûte et sidère à la fois. Rien que ça justifie que cet album soit toujours un peu à part, parmi les œuvres chouchoutées et défendues parce qu’elles ne sont pas connues.
Et puis la voix de David Strougher vaut vraiment le détour: à peine soufflée, murmurée, suave, elle apporte une touche incroyablement sensuelle, voire sexuelle (en référence à des titres évocateurs comme "Cicciolina", le nom de leur label "Vulva" ou les pochettes de leur album) aux morceaux, tous moites et chargés de tensions charnelles. Son chant d’amant marque les mémoires, on n’avait jamais chanté tout en étant aussi lubrique. Et jamais le shoegazing n'avait flirté de si près avec des domaines avant tout physiques et matérialistes, comme le sexe ou les jolies filles. Le romantisme évasif des chansons se perd dans les fantasmes latents et subversifs (avec une certaine fixation perverse pour les joueuses de tennis, Cf : les chansons "Seles" ou "n#1 fan" et son intro à la basse extraordinaire), rêvés par le charismatique et dérangé chanteur du groupe.
Love 15 est une bulle géniale d'évasion allumée où il est bon de s'abandonner sans retenue.

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