26 juin 2007

Chapterhouse : Freefall EP


Freefall EP de Chapterhouse

Sortie : 1990
Produit par Paul Adkins
Label : Dedicated


A ses débuts, Chapterhouse n’était qu’un groupe de jeunes têtes brûlées, désireuses de faire passer leur délire sous un nuage superficiel de gros sons bien enfumés.
Tout y est passé au mixer, à la vitesse de la lumière, entrecoupé de passages psychédéliques (la coupure sur « Need (somedy) », stoppant brutalement cette salve rythmique), les voix s’effacent complètement et ne deviennent plus que les réminiscences de gamins shootées pris dans leur trip. Rien de particulièrement transcendant encore ; à l’époque Chapterhouse s’amusait surtout à jouer le plus fort et le plus vite possible, pour se rapprocher de l’état extatique dans lequel ils étaient plongés (« Inside of me »). Beaucoup de bruit donc, et certain on dit pour rien, mais pourtant ce tout premier EP recèle quelques surprises, comme la première version de « Falling Down », mais aussi le moins connu « Sixteen years », évasif et planant à souhait.
Il est indéniable que ses chansons, encore tâtonnantes, étaient surtout le manifeste d’une jeunesse branleuse qui n’avaient peur de rien et prenait la parole à grand coup de déferlante rythmique et de distorsions sans limite.

Chapterhouse : Sunburst EP


Sunburst EP de Chapterhouse

Sortie : 1990
Produit par Chapterhouse
Label : Dedicated


Considérés jusque là comme des gamins précoces, c’est avec ce maxi que les membres de Chapterhouse allait faire preuve d’une maturité extraordinaire et bien au-delà de la moyenne. S’engouffrant dans une veine contemplative, voire quasi-mystique, le groupe franchit incontestablement un palier en même temps qu’il s’enfonce dans un voile opaque indéchiffrable. L’écriture est plus poussée, n’hésitant pas à prendre d’autres chemins dès qu’une brèche s’ouvre.
On sent ici que c’est la jeunesse qui prend le pouvoir, parfois de façon bancale, mais tellement chaotique. Un mélange de rêve éthéré, comme sur « Something More », qui sera produit par Robin Guthrie, ou de délire mégalomaniaque, comme sur « Satin Safe ». A noter également la curieuse reprise de « Rain » des Beatles.
Avec « Feel the same » et ses guitares électriques ultra saturées mais également élégantes, venant couvrir et noyer une petite mélodie géniale et hypnotique, Chapterhouse pousse au plus loin ses caprices de gosses à vouloir tout démonter et tout casser pour voir si ça bouge encore. Et miracle, l’ensemble tient toujours debout, et prend même des aspects de chansons dansante et jouissive au cours de laquelle il est bon se trémousser. Avec Chapterhouse, on remue la tête et les jambes, mais surtout la tête, qui avec tout ce tintamarre hypnotique, a tendance à s’évader hors de l’attraction terrestre.
Les chœurs de fantômes de « Satin safe » filent la chair de poule comme font frissonner de plaisir. Non seulement les voix sont légères, voire incompréhensibles, mais le rythme très terrien est propre à faire danser. Même si cela est entrecoupé d’assaut destructeur, comme si la chanson se déformait, fondait sous une lumière de supernova, on se laisse accrocher et emporter.
Bien loin dans un manège sans fin.

Smashing Orange : 1991


1991 de Smashing Orange
Sortie : 2005
Produit par Stephen Pala
Label : Elephant Stone


Cette année 1991 fut pour Smashing Orange une année de folie pure : concerts psychédéliques, tournées à battons rompus, orgies dans les loges et fêtes à n'en plus finir, comme aux plus belles heures des années 60.

Rob Montejo (qui fondera plus tard The Sky Drops) se remémore : « Les premières chansons étaient rafraîchissantes et excitantes. On faisait du shoegaze avec une petite inflexion psychédélique façon sixties. C’était une époque où les concerts étaient spectaculaires »[i].
Et à l'écoute des chansons sauvages qui composent ce recueil, on comprend pourquoi. Le ton est relâché, le batteur maintient un tempo psychédélique, les guitares sont déchaînées et les larsens, effets fuzz et pédales steel abondent dans cette surenchère sonore. « Not very much to see » ou le tourbillonnant « Sugar » sont de vraies déflagrations sonores, crasseuses et pourries. On dirait du shoegaze garage !
Les mélodies sont pourtant là, derrière la crasse et la souillure, des miracles de fraîcheur, les refrains sont prenants et les harmonies évidentes (« Just before I come » ou « Any further, it’s all over »). L’ambiance peut se faire carrément vaporeuse, lorsque le ton ralentit et que la paresse prend le dessus. Ainsi « Strange young girl », où est conviée Sara Montejo est une longue traînée de lendemain de fête, où les esprits s’égarent et se laissent dériver par facilité pour approcher une certaine poésie. Car pour Rob, l’influence ultime, ce n’est pas My Bloody Valentine, mais bien « Syd Barett, le premier shoegazer »[ii].
Ces purs bijoux pop sont enveloppés dans un écrin sortie de la boue, riche en réverbs dégueulasses et autres pédales de distorsions, dignes des premiers albums de Dinosaur Jr (« Slivewinter » ou « Felt like nothing »). Les musiciens ne semblent même pas se rendre compte de leur fureur branleuse. Ils feignent l'indifférence, parfois jusqu’à la nonchalance. Témoignages d’un laisser-aller psychotrope, les fuzz masquent le désabusement des chants, souvent traînards et complètement camés (« Only complete with you »). C'est cet équilibre toujours fragile, malgré la vindicte de la revendication, qui confère à cette musique unique une grâce agressive de toute beauté.



[i] Interview de Rob Montejo sur When the sun hits, 14 octobre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/10/interview-rob-montejo-of-sky-drops-and.html
[ii] Idem

24 juin 2007

Fiche artiste de Rocketship


Rocketship

Avant tout enfant du chanteur et guitariste Dustin Reske, le groupe, formé en 1993 à Sacramento, rassemble la bassiste Verna Brock (issue de Holiday Flyer), de Heidi Barney au clavier et du batteur Jim Rivas. Après avoir brillé avec le single « Hey hey girl », paru sur le label tout aussi culte Bus Stop, Rockeship signe sur Slumberland, le seul label apte à les accueillir. Mais Dustin Reske, éternellement insatisfait souhaitera faire prendre au groupe une tournure plus ambient après leur seul album sorti en 1995, et ne sera pas suivi des autres membres.
C’est donc seul que Dustin Reske fera sortir des singles sur le nom de Rockeship, avant de peu à peu disparaître des radars.

Rocketship : A certain smile, a certain sadness


A certain smile, a certain sadness de Rocketship

Sortie : 1995
Produit par Dustin Reske
Label : Slumberland Records


Rockeship représente l’archétype du groupe indé américain : hébergé sur une structure arty et obscure, cultivant le goût des pochettes racées et pratiquant surtout une musique aérienne et tranquille à mille lieux des préoccupations de l’époque, le groupe ne risquait pas de se faire connaître ailleurs que dans le cercle fermé des aficionados de charme décalé et quelque peu intellectuel.
On a souvent dit que Rockeship était la rencontre entre Ride (pour le côté aérien) et Stereolab (pour son côté electro prononcé), ce qui est sans doute vrai, mais incomplet, le groupe apportant également une touche de nostalgie, presque kitch, et qui lui sied bien et qui donne un côté rétro à l’ensemble. Le quator californien nous propose sur ce (mini) album des mélodies acidulées qui rappellent les sixties ou l’anorak pop écossaise, avec des synthés et des orgues qui peignent des ambiances plus tranquilles que rentre-dedans. Le tout étant tout de même très arrangé et porté sur les atmosphères fluettes et désuètes. Sans oublier les voix, toujours très légères, jamais forcées. Grâce à elles la nostalgie devient plutôt joyeuse.
La pop de Rockeship est planante (« Heather, tell me why ») mais paraît toujours décontractée (« I love you like the way that I used to do »), sans jamais tomber dans la sensiblerie. La musique de « A certain smile, a certain sadness » semble aussi simple, en témoigne « Let’s go away » basé sur un rythme ultra basique et paresseux, qu’elle est exigeante avec elle-même ; de la sensualité des voix féminines et masculines, qui alternent ou chantent en même temps, jusqu’à l’utilisation des claviers, qui n’en font jamais trop, même si elles sont omniprésentes. Dérivant au fil des titres vers une pop planante et mélancolique, avec le romantique « We’re both alone » par exemple, les trente-cinq minutes à peine de « A certain smile, a certain sadness » se décalent à force vers l’abstraction, avec des morceaux plus répétitifs presque mélancoliques, et construit autour de boucles.
Certes l’écoute de cet album est un plaisir futile, volatile, ce qui est à la fois son défaut et sa qualité, mais il n’est aucun doute que les soucis finissent immédiatement par s’envoler
.

22 juin 2007

Chapterhouse : Whirlpool


Whirlpool de Chapterhouse

Indispensable !

Sortie : 1991
Produit par Chapterhouse, Ralph Jezzard et Robin Guthrie
Label : Dedicated

Whirpool rassemble tout ce qui fait le charme du shoegaze, entre guitares virevoltantes, atmosphère trompeuse et légèrement suintée d’irréel et chant en pluie d’or. Cette ambivalence commence dès le superbe « Breathe », écartelée entre son rythme martial, ces roulements à la batterie et à la basse, et ces vocalises soufflées comme s’il s’agissait de râles de créatures angéliques. Pour qui voudrait avoir un exemple de ce qu’est ce style, cet album en est la parfaite incarnation.
Les gens ont d’ailleurs cru qu’il ne s’agissait que d’un empilage d’effets spéciaux, des gadgets de techniciens de studio, « Something more » ayant été produit par Robin Guthrie par exemple. Pourtant Stephen Patman met les choses au point : « La plupart des gens pensaient qu’on utilisait des synthés mais tout était fait à base de guitares »[i]. La confusion provient de cette base dansante que distille avec parcimonie Chapterhouse. Une rythmique baggy qu’on devine, par exemple sur le trémoussant « Falling Down » ou le break de « Pearl ». Les tempos sont dansant, voire transcendantaux, tout en conservant une utilisation frénétique des guitares pour des dessins colorés. On est sur la corde tendue tout du long, entre songe aérien et torture bruitiste (« Falling Down »). Les morceaux refusent les schémas simples et sont remplis de chausse-trappes mélodiques, avec passages psychédéliques, coupures, et petites surprises brusques (« Autosleeper »). Andy Sheriff se souvient : « On voulait créer une musique qui faisait te sentir dans un état proche de la défonce, mais sans avoir à prendre de drogues. On avait une approche psychédélique des choses, mais selon un concept plus moderne, plus éthérée, plus poussée encore, juste à partir de bruits qui te faisait tourner la tête »[ii].
Les chansons tirent parfois vers l’abstraction pure, comme le sublime et aérien « April » ou « Treasure », parcouru de parasites industriels et son passage planant s’achevant dans le brouillard. « Nous, on fait de la musique psychédélique mais pop. C’est ce qui la rend subversive »[iii]. Ainsi « If you want me », qui démarre avec une toute petite mélodie, un xylophone et une jolie voix douce et fluette, installe petit à petit de plus en plus d’instruments, une batterie, des claviers, jusqu’à s’arrêter d’un coup… puis reprend plus fort, plus majestueux pour un vrai moment de pure magie, s’achevant alors dans une déferlante.
Stephen Patman, guitariste, précise : « On veut juste expérimenter diverses palettes d’émotions. On essaye de créer des ambiances. Nos chansons ne sont pas écrites pour dire quelque chose d’intelligible. A la base, la musique, c’est juste de l’évasion, et on veut juste créer un bel espace propice à l’évasion. C’est pourquoi, lorsqu’on a une idée de chanson, on écrit les paroles en dernier. »[iv] Une douce mélancolie vient d’ailleurs s’immiscer dans ce déluge, notamment sur l’ébouriffant « Guilt » : « Les gens pensent qu’on est amorphe mais on fait de la musique de façon très intense. La musique ne doit pas juste être esthétique, elle doit porter un message. Mais les messages sont intériorisés. »[v] D’ailleurs leur manière de chanter renforce ce credo. Stephen et Andy n’hésitent pas à en rajouter dans les voix, adoptant une position très aérienne, presque asexuée, céleste, ce qui rend les choses encore plus hypnotiques. Même si cela est entrecoupé d’assauts ravageurs, par exemple sur « April » qui se déforme et prend une texture fondante, on se laisse accrocher par une touche de légèreté. « On a toujours senti que les voix étaient juste une partie de la musique, un instrument comme un autre. Seulement, en les écoutant après, on pouvait se demander ce qu’ils voulaient signifier ! »[vi]. En effet, les voix sont tellement en retrait, haletées, qu’il est presque impossible d’entendre quoi que ce soit. « On pensait peut-être inconsciemment que nos textes n’avaient pas d’intérêt »[vii] avoue Andy.
Tout le côté sexe, drogue et rock n’roll, s’il existait au sein du groupe, pendant les tournées notamment, il ne s’entend pas sur l’album. Pour ceux qui honnissent le shoegaze, il est la cible parfaite de toutes les critiques. Le charisme n’est pas le propre du groupe : « On n’est pas vraiment un groupe agressif ou rageur, on est plus cyniques et désabusés. »[viii] Quant à la reconnaissance qui leur tendait les bras, ils seront loin de la désirer. « Il n’y avait vraiment rien de bon dans le circuit commercial et il était impossible d’y rentrer de toute façon, reconnaît Stephen Patman, le seul moyen pour un groupe comme nous de se faire connaître, c’était de se lancer à l’assaut des charts indépendants, ce qui était un ghetto en soi. »[ix]. Prenons comme exemple le single extrait de l’album, le sublime « Pearl », au cours duquel la délicieuse Rachel Goswell de Slowdive prête sa voix, chaloupé et précieux. Pas forcément l’idéal pour permettre des ventes à la pelle. Pour Andrew : « On défigure la musique avec ce morceau, en y ajoutant un certains nombres de twist. Bien-sûr, avoir du succès, ce serait sympa, mais ce n’est pas le but. Dans un sens, ce serait une catastrophe si « Pearl » était un hit, parce que les gens attendraient alors beaucoup de nous et nous mettraient une sacrée pression. »[x] D’ailleurs, malgré une honnête place dans le Top 30 des charts, le succès ne viendra jamais pour cet album. Chapterhouse aura beau par la suite entrainer sa musique vers une tendance electro, héritée des boites de nuit, le groupe s’éteindra très vite, sans que personne ne s’en soucie vraiment. Stephen regrette : « les gens sont si impatients, ils veulent tout avoir sur le champ. »[xi]
Mais pour les amateurs, Whirpool est à ranger au plus haut sur l’étagère, bien en évidence, notamment pour sa pochette culte. On retiendra pour conclure, cette formule à propos du journaliste Andrew Perry, qui les a beaucoup suivi, « Chapterhouse était à la fois dans le coup et en dehors du coup »[xii].



[i] Stephen Patman cité par Andrew Perry, Whirpool reissue, courtesy of Cherry Red Records, mars 2006.
[ii] Andy Sheriff cité par Andrew Perry, op. cit.
[iii] Stephen Patman cité par Steve Sutherland, sur Melody Maker, 12 octobre 1991, [en ligne] http://www.comeheaven.com/press/mm-12oct91.html
[iv] Stephen Patman sur Siren #1, [en ligne]  http://www.comeheaven.com/press/siren-issue1.html
[v] Andrew Sherriff cité par Simon Williams, sur NME, 12 octobre 1991, [en ligne] http://www.comeheaven.com/press/nme-12oct91.html
[vi] Andy Sherriff cité par Andrew Perry, op. cit.
[vii] Idem
[viii] Chapterhouse cité par Roger Morton, sur NME, 18 août 1990, [en ligne] http://www.comeheaven.com/press/nme-18aug90.html
[ix] Stephen Patman cité par Andrew Perry, op. cit.
[x] Andrew Sherriff cité par Steve Sutherland, op. cit.
[xi] Stephen Patman cité par Paul Lester, sur Melody Maker, 20 octobre 1990, [en ligne] http://www.comeheaven.com/press/mm-20oct90.html
[xii] Andrew Perry, sleeve notes, op. cit.

Fiche artiste de The Nightblooms


The Nightblooms

Un journaliste du NME, en parlant du premier opus de The Nightblooms, déclara un jour qu’il était « prêt à parcourir les mers pour se procurer un album d’une telle beauté».
Celui-ci avait bien raison mais sans doute est-ce la peur de traverser la Manche qui empêcha ce groupe hollandais de se faire connaître.
Très clairement inspiré des groupes shoegaze anglais, mais également de la première vague américaine menée par Black Tambourine, The Nightblooms proposa une musique particulièrement attachante, insufflant une dose de nonchalance à un sens de la mélodie criant. D’aucun les rapprochèrent d’ailleurs de la formation culte mais oubliée Young Marble Giant, pour ce côté grand enfants.
Après deux singles, « Go Eliza » en 1988, et surtout « Crazy Head » en 1990, le groupe originaire d’Utrecht, composé de la chanteuse Esther Sprikkelman, du guitariste Harry Otten, de la bassiste Petra van Tongeren et de l’excellent batteur Lean Morselt, se voit accordé quelques interviews sur le Melody Maker, puis proposé par John Peel de lui fournir plus de matériel pour des sessions.
En 1992, la formation réussit à louer les studios Vuurland pour une journée. En un tour d’horloge leurs premières chansons sont compilées en un album enregistré live et produit par Steve Gregory (du groupe « The Pooh Sticks ») qui paraîtra sur le micro-label Paperhouse.
La structure mère, Fire Records, leur offre alors la possibilité de sortir un deuxième album, espérant ainsi reproduire le relatif succès du premier essai (dont le single « Butterfly Girl » fut élu « single of the week » par le NME). Mais le groupe, volage et ambitieux, n’en fait qu’à sa tête, et sort alors un album en 1993, bancal, déséquilibré et qui suivra les tendances et les humeurs de l’instant.
Le groupe disparaît alors de la circulation publique, et ce n’est que cinq ans plus tard qu’on entend à nouveau parler de Esther Sprikkelman et Harry Otten, sous la forme de Safe Home.

Discographie :

-
The Nightblooms

- 24 days at catastrofe café

The Nightblooms : S/T




The Nightblooms

Coup de coeur !

Sortie : 1992
Produit par : Steve Gregory
Label : Paperhouse


On croit, à l'écoute de ce vacarme et de cette pop jouée tambour battant et à cent-à-l'heure, qui déboule après un bourdonnement qui évoque le décollage d’un avion, que l'on va être balayé, ravagé, puis dès que cette voix fantastique, susurrante, molle, légère, suave, dépose sa douceur sur cette ardeur, on sent qu'on va être transporté très loin.
On est surpris par ce mélange de douceur et d’agitation, si caractéristique du courant shoegaze des années 90, dont The Nightblooms était un des plus doué sans pouvoir cependant se faire connaître au delà du cercle d'initiés, la faute pour être originaire d’un pays qui n’était pas l’Angleterre.
Cette musique est indomptable, indéfinissable, non réductible. Elle fuse, explose, ralentit, s'envole, s'allège avant de s'endurcir. Les chansons sont toutes irrésistibles ("Slowly Rising", "A Thousand Years" ou "Starcatcher" ; il faudrait les citer toutes en fait). On ne sait jamais où aller (la montée en puissance de "59#2" et ses dialogues furieux). Il n'y a qu'à se laisser porter par ces mélodies savoureuses, cette dynamique entraînante, ce chant, souvent doublé (celui d'Esther Sprikkelman), sans aucun doute une des plus belles voix féminines de tout le mouvement. On a sans cesse l'impression que cet ensemble fragile et monté avec presque rien va s'écrouler ; seulement ça teint debout, ça se rattrape à chaque fois, et chaque vacillement est en fait le moyen de faire surgir une nouvelle mélodie ou une ligne de chant originale.
Enregistré en condition live, ce qui donne ce son un peu rêche et brouillon, mais aussi un cachet indéniable, cet album symbolise tout ce que la musique peut avoir de précieux dans sa véracité, sa spontanéité, sa franchise, sans mentir ni se travestir. Elle est le moyen d'offrir des expérimentations ("Butterfly Girl" et ses huit minutes envoûtantes), des voyages nouveaux, une alliance de sons nouvelle (les cithares de "Blue Marbles"). Mais elle permet surtout de sentir tout ce qu’il y a de vibrant à vivre et partager une musique qui ne s’embarrasse de rien, se fait juste porteuse de mélodies indolentes. Un charme prodigieux opère: entre rock bancal et lyrisme éploré, un équilibre se créé. La musique de The Nightblooms, en plus d'être toujours aussi raffinée et délicieusement énergique, se fait directe et chaleureuse. Les émotions suscitées n'en sont que plus palpables, vibrantes et authentiques. Ce premier opus éponyme est un terrain chaotique où se rencontrent une écriture pop insouciante et un rock résolument tendu, physique. L'apparente frénésie se transforme en beauté attendrissante lors d'un puzzle captivant.
Cette musique est belle à pleurer. Et elle était l'œuvre de quatre jeunes gens dans leur petit studio.

The Nightblooms : 24 days at catastrofe café


24 days at catastrofe café de The Nightblooms

Sortie : 1993
Produit par Steve Gregory
Label : Fire Records



Un peu d’indolence flotte sur cet album, sur lequel The Nightblooms joue les filles de l’air.
On dirait un terrain de jeux, et les formats s’étendent et se raccourcissent comme des élastiques ou de la guimauve fondue.
D’ailleurs l’album sera coupé en deux, avec une face-A, de très courtes chansons, noisy et charmantes, oscillant entre une minute trente et trois minutes pas plus, brèves éjaculations de mélodies (« Kiss and spell » ou « Never dream at all »), souvent frustrantes car ne s’étendant jamais plus. Le groupe y montre une facette plus ludique, presque capricieuse, avec des guitares plus lourdes, glissant souvent sur des riffs rock, mais avec une voix toujours aussi fluette, celle d'Esther Sprikkelman. L’atmosphère peu sérieuse colle très bien à l’image de la pochette, enfantine avec ces dessins à l’aquarelle, et tout aussi légère (il s’agit d’une parodie du « So far » de CSN&Y, que l’on doit à la graphiste Merle van Hees).
Au cours de la face-B, on retrouve les penchants du groupe pour les voyages psychédéliques et plus envoûtant. On y découvre alors deux morceaux absolument incroyables, longs et vaporeux, dont « Everyone loves you », chanson fleuve aux mélodies claires et aux solos hypnotisant, sortes d’envolées acides, dues à l’inspiré Harry Otten. Quant à « Shatterhand », pur chef-d'oeuvre anti-conventionnel, on atteint des sommets de décollage aérien, sur plus de dix minutes, avec son saturé en pagaille, douces voix, mélodies grattées qu’on redécouvre dès que le nuage de sons veut bien s’apaiser, passages instrumentaux ensorcelant, virant parfois à un jam semi-improvisé. Bref, on ne revient jamais indemne d’un tel morceau.
Et il faut bien une toute petite dernière chanson (« Sweet rescue », qui porte bien son nom), sorte de berceuse, délicate et presque minimaliste, pour se remettre d’un voyage comme celui-là.
Ce qui est certain, c’est que, même si on n’a parfois du mal à les suivre, The Nightblooms a voulu n’en faire qu’à sa tête et partir dans ses délires. Et peut-on reprocher à des (grands) enfants de vivre dans leur monde ?

13 juin 2007

Fiche artiste de Ultra Cindy



Ultra Cindy

On ne connaît pas grand-chose sur Ultra Cindy. Une carrière effilochée qui au final n’eut aucun impact.
Le groupe vient de Richmond (USA), au même titre que Fudge par exemple, dont ils sont assez proches, et n’a sorti qu’un album en tout et pour tout dans sa carrière, et qui plus est sur un label obscur, Earthling Release.
Admiratif pour les groupes de la côte est, comme les Swirlies ou les formations du label Slumberland, Ultra Cindy pratique un style proche de Ride ou Revolver, avec parfois des guitares proches de Kitchens of Distinction. Mais on note aussi quelques influences de New Order, notamment dans la basse, conférant ainsi un aspect hypnotique à leur musique.
Nul doute que pour William Russell (chant et guitare), Josh Kreamer (chant et guitare), Kemy Gatdula (basse) et Russell Cook (batterie), le sort n’a pas particulièrement joué en leur faveur. Mais chaque écoute de leur musique, qui se transforme en moment magique, répare l’injustice.

Ultra Cindy : The Mermaid's Parade


The Mermaid's Parade de Ultra Cindy

Coup de coeur !

Sortie : 1994
Produit par Ultra Cindy et Mark Miley
Label : Earthling Release


Aussi surprenant que cela paraisse, The Mermaid’s Parade passa complètement inaperçu à sa sortie. Et il n’est pas plus connu maintenant ! Sans doute, est-ce la date de parution qui explique que cet album fut vite rangé dans les bacs de seconde mains, voire de troisième. En 1994, tout était déjà dit, et Ultra Cindy ne faisait alors que copier ses modèles, Ride et compagnie.
Seulement le combo américain signe là un ensemble de chansons particulièrement réussies, romantiques et émotives, et cela est suffisamment rare pour le souligner.
Baignant tout d’abord dans un univers qui laisse venir l'expression des choses, Ultra Cindy les explore à tout venant, avec une émotion palpable et à fleur de peau, aidée en cela par une rythmique très appuyée, variée, et dont la basse joue ici un rôle déterminant de raccrocheur. Les chansons restent tendues tout du long, éclatent par moment, mais sans jamais détruire cette impression de nager dans des sphères toujours quelque peu romantique, parfois naïves. « Ferver pitch », « Eusebio », très émotive avec ses voix douces mais vindicatives, ou « Starblazers » sont de courtes et nerveuses chansons, à rapprocher d’un style proche de Revolver par exemple, plaisant aux âmes en mal de rage adolescente.
Mais à mesure de l’avancée dans l’album, on décèle une complexité qui augmente. Le discours n’est plus aussi lisse. Et petit à petit on perd les repères. L’impression que Ultra Cindy passe inaperçu à la première écoute finit par disparaître. Le caractère subtil des chansons et leur rêverie prennent de l’importance au fil des tentatives répétées pour apprivoiser l’album. On décèle alors des petites mélodies qu’on n’avait pas remarquées au départ et on se laisse prendre par le ton envoûtant de l’album.
The Mermaid’s Parade est en fait bâtie selon une structure en déliquescence, les morceaux devenant de plus en plus longs et de plus aériens. Le déclic se fait à partir de« She said to me » répétée inlassablement et aidée par la voix féminine de Jina Yi sur « Neat », terminant ainsi la chanson sur un abandon, un prolongement, une fuite. On bascule sans s’en apercevoir vers une émotion, cette fois-ci plus rentrée, plus en dedans. Au fur et à mesure que l’album avance, le groupe laisse tomber les codes du genre et laissent de plus en plus d’espace à l’évasion, aux passages instrumentaux, aux alternances, au rebonds et aux fuites, ainsi qu’à la souplesse. Ainsi « Crinoline » n’est qu’un déferlement tourbillonnant entrecoupé d’accalmies subites, faisant varier les climats et perdre la tête. Les chants aspirés et légers se répètent, restent inflexibles, malgré le déchaînement autour d’eux, et glissent lentement vers l’envol. Le dernier coup d’estocade est porté par « Near perfect », excellente, plus en longueur, plus rêveuse et compliquée.
Ne parlons même pas des paroles soufflées « She’s my best friend to the end » sur « Dean henry », où l’on atteint alors des sommets d’évanescence. La seconde partie de l'album fait la part belle à des morceaux tout aussi travaillées et magnifiques, mais plus lentes et plus tristes. Les mélodies prennent le temps de s'installer, sans s'empiéter les unes sur les autres, pour de tendres passages atmosphérique à la vénusté miraculeuse, comme au cours d'odes poétiques. On s'y laisse bercer, complètement emballé par cette magie unique, qui ne se répète jamais et explore sans cesse de nouveaux horizons.

10 juin 2007

Fiche artiste de Medicine


Medicine

Projet de Brad Laner, touche à tout de studio, qui avait pas mal bourlingué durant les années 80 au sein de groupes californiens underground, avant de tomber sur les distorsions et d'en devenir dingue. Avec Beth Thompson, ils vont signer quelques uns des plus grands albums shoegaze, et même s'autoriser une apparition dans le film The Crow !

Medicine : Shot Forth Self Living


Shot Forth Self Living de Medicine

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Brad Laner
Label : Creation Records


Pour un premier album, Brad Laner, celui qu’on compare volontiers pour son attrait de la production à Kevin Shield, mais en plus bourrin, réussit un coup de maître.
Froid, industriel, transcendantal, pointu, Short Forth Self Living dégage une atmosphère particulièrement saisissante : sans doute à cause de ces mêmes accords, de ces mêmes nuages de sons, qui se répètent et qui plonge l’auditeur dans une hypnose.
L’ouverture est grandiose, culte au possible : une longue phase de reverbs et de distos se prolonge sur « One more », avant que ces distos se mettent soudain à se mouvoir et se contorsionner pour former des mélodies comme par magie. Le rythme reste lui imperturbable, soutenant de manière inflexible la voix lointaine et légère de Brad : la transe commence, surtout lorsque les crissements prennent fin, et que le chant de Beth vient se joindre à cette envolée.
On a l'impression tenace que Medicine en jouant, froisse du papier de verre, fait crisser des pointes sur l'acier, torsade du barbelé tant le groupe manipule les instruments sous la torture jusqu'à en faire sortir des sons incroyables. L’intro de « Aruca » est à ce titre, particulièrement confondante : impossible de savoir où le groupe va nous mener, et c’est presque une étonnante surprise que de découvrir une plaisante chanson pop après ces accords massacrés. Rien ne sera lisse et transparent sur cet album. Ce qui intéresse Medicine, c’est la chirurgie. Découper, utiliser des scalpels, des scies électriques et voir si le corps de la pop est toujours vivant malgré les coups de ciseaux.
De ce vacarme de bloc opératoire, Brad Laner et les siens en feront le support idéal pour ses premières expériences, pop-songs ultra mélodieuses, rêveuses et somptueuses. L’adorable « Defective » emballe d’entrée par sa structure en ritournelle passée au vortex. Quant à « Short Happy Life », sa lenteur, sa gravité, le chant de Beth, son aspect majestueux en font une œuvre immense, sérieuse et fascinante. Une tendance à vouloir planer se ressent de bout en bout. C’est enivrant, charmeur, bizarroïde parfois, mais jamais ennuyeux. On arrive même à se laisser happer par ces délicieuses rengaines enfantines, susurrées sous une noyade de riffs réitérés à satiété (« Miss Drugstore »). De cette clameur artificielle équivalente à des fritures sur les bandes d’enregistrement, la formation californienne en fera un pur moment langoureux.
Paru en 1992 sur le label Creation, ce premier opus est considéré à juste titre comme une référence en matière de noisy-pop. Avec ses nappes de phasing et ses loopings sonores condensés, ces chansons exceptionnelles se détachent du lot, sans oublier d'être fascinantes. Tout l’opus est construit (ou déconstruit plutôt) selon des enchevêtrements complexes de distorsions, qui malgré tout forment des bâtiments métalliques d’une redoutable beauté. On y décèle beaucoup d’orientalisme, ce désir d’accéder à la transe par la danse et la libération de l’esprit, cette idée qu’il faut passer par la douleur pour atteindre le nirvana, ainsi qu’une fascination pour les machines, les robots, les sons synthétiques, à même de créer des boucles, qui reviennent sur elles-mêmes et créent alors un effet psychédélique novateur.
Les neuf minutes de « Christmas Song » achèvent l’étreinte onirique en prolongeant les émotions vers un lent décollage, direction des volutes quasi-mystiques.
Car c’est bien connu, un des moyens pour faire planer est de créer un court-circuit neuronique et d'agir sur les fusibles du cerveau. Par ses vertus euphorisantes et ses bourdonnements continuels, la musique unique de Medicine y arrive très bien.

Henry's Dress : Henry's Dress EP


Henry's Dress EP

Sortie : 1994
Produit par Dustin
Label : Slumberland


Des crissements insupportables et un « I don’t care » significatif, balancé par Amy Linton avec un je-m’en-foutisme assumé, résument assez bien le style du groupe.
Avec une nonchalance incroyable, Henry’s Dress prendra un malin plaisir à torturer, à malaxer et détruire sous une déferlante de sons et bruits blanc ses petites hymnes punk-pop, à la sauce mods sixties. Les guitares sont particulièrement ardentes, imprévisibles, et contrastent avec la fadeur des voix, qui se traînent, s’évaporent presque pour ne laisser la place qu’au chaos, savamment orchestré, et visant à laisser agir un marasme édifiant, le ton de titres très courts. C’est sec, nerveux, le son est pourri et ça crache de partout, comme aux bonnes heures de l’indie pop des années 80 (« Sally wants » ou « (you’re my) radio one »). Derrière cette indolence maladive, on décèle cependant une rêverie paresseuse assumée, comme sur le tendre « Forthcoming » ou le reposé et triste « ‘’A’’ is for cribbage three ».
Un premier maxi à valeur de mise en bouche : des chansonnettes enfantines, écervelées, charmantes, à consommer sans modération.

9 juin 2007

Fiche artiste de Drop Nineteens


Drop Nineteens

Comme certains groupes maudits de Boston (on pense aux Pixies par exemple), c'est en Angleterre que le très jeune groupe Drop Nineteens est le plus connu. La faute à un style, qui même s'il s'inpire du college rock américain, est délibérement tourné vers le shoegaze anglais.
C'est avec une démo que la formation composée de Greg Ackell (chant, guitare), Paula Kelley (chant, guitare), Steve Zimmerman (basse), Chris Roof (batterie), et Motohiro Yasue (guitare) s'attire les critiques de la presse anglaise.
Après avoir signé sur le label Caroline, le premier album "Delaware" réussit à se placer dans les charts, propulsé par ses deux singles, "Winona" et "My Aquarium", dont les clips sont diffusés sur MTV. Le groupe entame alors une tournée en Angleterre, notamment au Reading Festival, ou aux Etats-Unies, avec le Lollapalooza. S'ensuit également une session avec John Peel.
Mais à cause de différents sur les choix musicaux à prendre pour la suite, Paula, Chris et Motohiro, poursuivant leurs projets seront remplacés respectivement par Megan Gilbert, Pete Koeplin et Justin Coplin.
Un deuxième album, plus orienté rock indie, sort en 1993, toujours chez Caroline. Mais si l'album se fit connaître, c'est plus pour sa pochette ! Celle-ci, dans sa version non censurée, est sensé représenter une femme nue, peinte en blanc et portant un masque à gaz blanc, photographiée sur fond blanc. On ne trouve plus la pochette originale que sur la version vinyl.
Le manque de succès finit par faire couler le groupe, qui se sépare en 1995.
On retrouva par la suite Greg Ackell et Pete Koeplin avec Findel mais de tous, c'est Paula Kelley qui s'en sortit le mieux, avec le groupe Hot Rod ou bien sa carrière solo.

Drop Nineteens : Delaware


Delaware de Drop Nineteens

Coup de coeur !

Sortie : 1992
Produit par Drop Nineteens et Paul Degooyer
Label : Caroline


Ce groupe de Boston incarne la jeunesse. Pleine de morgue, d’insouciance, d’effronterie, d’immaturité assumée. Mais capable aussi de la poésie la plus naïve. Drop Nineteens symbolise un air du temps qu’on cherche et qu’on cherche encore, celui où il semblerait que tout soit permis.
Pas de rigueur, pas de règles à suivre, on prend les guitares comme on veut, tant pis si les doigts glissent, tant pis si le pied reste trop longtemps sur les pédales et qu’on n’est pas capable d’enchaîner une dizaine de notes claires et alambiquées, l’important c’est d’avoir les guitares en main et de faire du bruit. Car le son d’une guitare, crépitant, lourd, grinçant, à quelque chose de fascinant. On peut générer une multitude de sensations avec une guitare.
Et si les membres de Drop Nineteens choisissent d’étirer leurs morceaux en de longues plages de distorsions, pour s’offrir là une orgie de feedback à n’en plus finir, peu importe que ce soit peu académique.
Des guitares et du bruit : l’association peut sembler simpliste mais elle est carrément jouissive ! Car elle se fait l’expression de toute pulsions. A l’écoute de cet album, terriblement adolescent dans sa définition et sa configuration, on est libéré de tout poids, on savoure et on se délecte de tant de culot !
L’album entier transpire la malice : de l’intro irrésistible de « Delaware » jusqu’au séminal « (plus fish dream) », on découvre cette compulsion à vouloir tout saccager et refuser toute possibilité de rendre les choses faciles. Delaware est en fait un caprice. Un caprice capable de ralentir brusquement le tempo dès le deuxième titre (« Ease it halen »), en un pur moment langoureux, traversé de ça et là par des éclairs bruitistes. Ou bien de s’élancer dans un délire incompréhensible et éprouvant de saturations sans fins, entrecoupé de hurlements rageurs surprenant (« Reberrymemberer »). Derrière ces assauts soniques, oscillant entre My Bloody Valentine et Sonic Youth, se cache une fraîcheur incroyable, une présomption à vouloir côtoyer les sommets, une envie de tout foutre en l’air, pour le plaisir. Le chant de Greg Ackell est tout doux par rapport à ses propos ou son envie d’en découdre. Quant à la voix de la chipie Paula Kelley, elle marque les esprits : sexy, espiègle, douce, on dirait une jeune femme qui n’aurait pas froid aux yeux, mais qui joue les charmeuses. Difficile de ne pas rester insensible ! Tout en conservant un sens aigu de la délicatesse et de la douceur. « Kick the tragedy » a beau laisser partir à la dérive une guitare sèche pendant de longues minutes, soutenue par un nuage de saturations et d’échos, le murmure parlé de Paula Kelley fait frissonner de plaisir, par son charme envoûtant et quasi-sexuel.
Ce jeune groupe n’en fait qu’à sa tête, mêle rêve d’enfant et austérité, refusant de grandir et de se plier aux règles des grandes personnes, préférant de prélasser, endormi, loin des rigueurs du monde.
Pas étonnant dès lors qu’on retrouve alors un pur son noisy, torturé, déstructuré, incisif, noyant un chant suave et mielleux, comme sur la magnifique et surprenante reprise de Madonna (« Angel »). Et même si le ton peu paraître particulièrement violent, agressif, vindicatif ou expérimental, il n’occulte à aucun moment le goût pour les mélodies simples et célestes, propre à emballer l’imagination et l’évasion. Drop Nineteens cultive avec une certaine tendresse les aspirations de jeunes en proie au désir de se tenir toujours décalés et jamais à leur place. Jusqu’à même se dévêtir complètement de tout apparat parasite et régaler l’auditeur de petites ballades acoustiques enchanteresses et d’une délicatesse infinie, emportées par ces voix douces auxquelles on s’attache irrémédiablement.
Cet album donne le tournis. Il évoque un tourbillon qui ne s’arrêterait jamais. On est pris dans ce délire propre à vouloir se rebeller contre l’establishment tout en assumant parfaitement son immaturité. Sans se poser de question, avec une insouciance rare et bon enfant, qui collera idéalement avec l'air du temps, Drop Nineteens fera ce qu’il lui plait : une douceur adolescente maquillée sous un énorme déluge de guitares dans une enivrante envie de faire ce qui est interdit.

8 juin 2007

Lovesliescrushing : Bloweyelashwish


Bloweyelashwish de Lovesliescrushing

Sortie : 1993
Produit par Scott Cortez

Label : Projeckt Records


Totalement à part, ce duo a réussi à se mettre complètement en dehors du rock, bien qu'il en utilise les bases. Lovesliescrushing, c'est des guitares, des samples et une voix. Ici la simplicité rejoint la pureté. Pas d'instruments rythmiques, pas d'accords harmoniques, juste des couches épaisses de saturations, de bourdonnements, de distorsions et de crissements sourds. Le flou est porté au sommet, souvent jusqu'à l'autisme pur. L'écoute peut se révèler aussi bien une surprenante découverte qu'un supplice.
Explosant tous les formats classiques, le groupe s'offre une vraie liberté, à la limite de l'abscon. Les morceaux, si tant est qu'on peut encore les dénommer ainsi, varient entre trente secondes et six minutes parfois, flirtant aussi bien avec l'avant-garde que les envolées atmosphériques.
Les saturations sont prenantes et en nappes épaisses, la voix de Melissa Arpin, quasiment inaudible, insidieusement gracieuse et éthérée, le son soigné et original, les climats prenants, aux confins du shoegaze, de la dream-pop et de l'expérimental : une ambiance urbaine et obsédante se dégage de cet album.
Pour auditeur averti.

3 juin 2007

Slowdive : Just for a day


Just for a day de Slowdive
Sortie : 1991
Produit par Chris Hufford
Label : Creation Records


Alliant une extrême douceur dans le ton, voire une certaine nonchalance romantique, avec une exubérance sonore virant à la surcharge d'effets, la musique de Slowdive est sublime de langueur. D'autant que les structures étirées, presque volontairement neurasthéniques, sèment le trouble et embrouillent les pistes, pour ne conserver que finesse, luxe et magie.
Encore plus audacieux, plus radicaux et sans doute plus perturbés que ses contemporains, Slowdive réussit à créer une musique unique et jamais égalée depuis. Comme beaucoup, le groupe s'inscrivait dans un courant musical appelé shoegaze, mais le porta vite aux nues pour faire de son œuvre la plus incroyable et belle déposition jamais faite de beauté absolue, s’écartant des chansons traditionnelles, pour proposer des miracles. Apprêté, avec ses violons, ses distorsions, sa batterie lente et répétitive, sa guitare sèche, « Spanish Air » est un modèle du genre. Quant au chant, doucereux, ambigu et virginal, il permet des dialogues extraordinaires entre Neil Halstead et Rachel Goswell, parfois dédoublées sur plusieurs tons (« Ballad of sister sue »). 
Les guitares ont la part belle et l'hyper-saturation est de mise pour créer un véritable mur du son dont il est très difficile de s'extraire sans être marqué à jamais. Mais faire du bruit ne signifie pas toujours jouer vite ou avec fracas. Chez Slowdive, justement, ce qui prime relève plutôt de l’armature, chargée, poussant au confinement et très majestueux. L'ensemble est finement travaillé et au service de chansons impeccables, au charme intemporel où la grâce se dispute au divin (la basse mythique de « Catch the breeze » ou de « Brighter »). Hautement mélodique, très lente et vaporeuse, la poésie est au rendez-vous, conférant aux titres un éther doux et suave, saveur garantie par des voix caractéristiques, très éthérées et presque angéliques, celle de Neil Halstead et de la divine Rachel Goswell (« Celia’s dream », fantasmagorique et traversée d’éclats d’un autre monde, ou « Waves »). A l'extrême opposé de la violence instrumentale environnante, elles tirent vers des sommets d'élégance trouble et fragile. Il arrive même que l’abstraction soit telle qu’il n’y ait plus de batterie (« The Sadman »), ni de chant (« Erik’s song »). Les structures classiques couplet-refrain sont abandonnées, pour mieux entraîner l'auditeur vers un tourbillon et le perdre dans le chamboulement émotionnel que provoque cette vague remuante. On reste souvent ébloui par tant de vigueur lié à un raffinement infini.

Même si l’écoute est parfois éprouvante, s’abandonnant vers l’abstraction progressivement et s’évanouissant complètement sur la fin, on a sans cesse l'impression de côtoyer la féerie.

Slowdive : Souvlaki


Souvlaki de Slowdive
Mythique !

Sortie : 1993
Produit par Slowdive et Ed Buller
Label : SBK / Creation Records


Album de chevet, album d’île déserte, album pour faire l’amour, album pour portrait chinois, album d’une vie et de toutes ses réincarnations s’ils existaient, Souvlaki demeure dès la première seconde une évidence, une réponse et une mise en bande-son de tout ce qu’on est, ce qu’on peut ressentir.
Allégorie parfaite d’un certain désir d’abandon, de déliquescence de toutes les entraves, ce recueil, véritable poème élégiaque, aussi léger et profond qu’un haïku, dessine délicatement les contours vagues et flous d’un nuage de mélancolie.
Slowdive réussit à nous toucher droit au cœur, grâce à sa modestie et sa sincérité. Avec de deuxième opus, le groupe soigne ses compositions et maîtrise à la perfection ses ambiances, son univers.
D'ailleurs, ça débute par le mirifique « Alison », un mille-feuille d’instruments, dont aucun ne prend le dessus sur l’autre, aboutissant à un ensemble cotonneux, d'où émergent des voix de chérubins, faisant tanguer le sens des réalités.
Ce qui saisit et perturbe autant, c'est la lenteur que prend le groupe à se dévoiler. Même les assauts les plus lyriques (« Machine Gun » et sa guitare sèche perdue), les paroxysmes instrumentaux, à grand coup de saturations, prennent le temps de s’appesantir sur la chanson, et ce uniquement après un long moment d'accalmie, où les mélodies se dévoilent timidement (« Souvlaki Space Station»), de peur de se fragiliser. Cette dérive ralentie cajole et berce doucement.
Bien vite, un minimalisme se fait de mise, à tel point que l'on se perd, qu'on se retrouve déboussolé, au milieu d'un paysage rachitique, où ne subsiste que de la neige, à perte de vue, ou bien des nuages de brumes vaporeuses, qui enveloppent et caressent, tout comme peuvent le faire les nappes de guitares et de claviers, ou bien les voix, tendres et tombantes comme une pluie d’or, lorsqu’il s’agit de la divine Rachel Goswell.
On ne peut pas s'immiscer dans cet univers à tout venant : il faut une disposition d'esprit, car le groupe est peu pressé d'en finir, n'hésitant pas à traîner en longueur pour dire trois fois rien, juste l’essentiel en fait. Mais pour peu que l'on soit téméraire, et que l'on force les écoutes répétées, on se laisse à chaque fois pénétrer par une déstabilisante mélancolie, parfois poignante lorsqu'elle atteint des climax ("40 Days"), à grand renfort de montée en puissance des guitares.
Mais le plus souvent, c'est l'ascèse qui gagne, et il faut se laisser couler au rythme de la batterie et des samples électroniques ("Sing", signé Brian Eno qui collaborera sur l’album, et son ambiance aquatique), descendu à un tempo tel qu'il flirte avec l'arrêt. C'est au cours de ces apaisements que toute la beauté du groupe peut se révéler, comme lors de cette fulgurante démonstration de douceur et de naturel qu’est « Here she comes ». Lorsque le ton se durcit par contre et que les voix éthérées et si sublimes se recouvrent d’aria électriques (« When the sun hit »), on atteint là des purs moments d'évasion.
Feutrée, cotonneuse, l'atmosphère que dégage l'album et qui envahit tout l'espace, celui de la pièce, comme de notre corps, se cristallise, s'étire le plus possible, en un minimalisme parfois haletant ("Melon Yellow"). La simplicité finit par rejoindre et fusionner avec la pureté pour aboutir à la plus belle démonstration de grâce et de contemplation. Slowdive regarde et se laisse aller. Non pas par paresse ou par pleurnicherie, mais clairement parce qu’il est parfois agréable de s’éloigner du chemin, pour aller contempler la Beauté et ne pas voir si elle se cache ailleurs, que là où on veut habituellement nous la montrer, notamment par l’absence quasi-totale de guitares lead. Le temps pris pour dévoiler ses ambiances, à la fois neutre et affligée, serre la gorge.
L'émotion est telle qu'elle subjugue, empoigne le cœur, et donne l'impression qu'on ne se remettra jamais de ce choc. Tout apparaît d'une telle beauté, d'une telle profondeur, d'une telle tristesse, que c'est tout notre être qui remonte à la surface, soudain libéré de ses poids, et qui voyage, là, éperdue et un peu bête, jusqu'à des hauteurs insoupçonné, naviguant dans le ciel, aux côtés d'anges, qui nous tiennent par la main, pour nous guider vers des contrées magiques.
On ne revient d'ailleurs jamais d'un tel voyage. Celui-ci est trop intriguant, trop lointain pour qu'on n'en ressorte tout à fait le même. Et le dernier message, transperçant d'honnêteté désespérant, celui lancé à travers les arpèges délicats de "Dagger", auquel répond la voix sublimement grave et légère de Neil Hastead, se fait l'écho d'un touchant romantisme soyeux, sublimé par un chœur magique, jusqu'à une candeur assumée et flirtant avec une tristesse propre à faire venir les larmes aux yeux.
Cette plainte met à nu ce qu’il se cache derrière le mur du son du shoegaze, une fois qu’on a déshabillé le groupe de ses costumes de guitares, un infini chagrin inconsolable…

2 juin 2007

Fiche artiste de Blind Mr Jones


Blind Mr Jones

A l’époque il y avait une bonne blague qui circulait. La rumeur voulait que le groupe Jethro Tull se soit reformé. L’allusion tenait du fait que Blind Mr Jones avait un musicien qui jouait de la flûte, instrument incongru pour un groupe de rock, sensé vouloir en découdre avec les guitares. Et bien vite le groupe ne fut plus que réduit à ça.
C’est que la tentation était facile : les membres avaient à peine 19 ans de moyenne d’âge !
Blind Mr Jones, qui tire son nom d’une chanson des Talking Heads, s’est formé au début des années 90 à Marlow, en Angleterre. Le groupe composé essentiellement de lycéens attire vite l’œil de la presse comme étant une curiosité à surveiller. Il faut dire que le guitariste James Franklin, le chanteur/guitariste Richard Moore, le flûtiste Jon Tegner, le bassiste Will Teversham, et le batteur Jon White, avec leur look de petits garçons, fans de Dinosaur Jr mais pas encore en âge de passer le bac, firent rire pas mal de monde. C’était sans compter leur immense talent prometteur.
Durant leurs concerts erratiques de lycéens, personne ne s'interressa à eux, hormis le label Cherry Red Records qui les signa sur la fois d'une démo et de l'avis expérimenté de Chris Hufford (producteur de Chapterhouse et Radiohead). Paraîtront alors deux singles : « Eye vibes EP », sur lequel Neil Hastead vient faire quelques parties de guitares, puis « Crazy Jazz EP », dont les interventions à l’harmonica seront signés Johny Greenwood, guitariste de Radiohead.
L’album « Stereo Musicale » attira l’attention des critiques, mais surtout pour être traité avec une certaine suffisance, Blind Mr Jones souffrant d’être toujours comparé à Ride. Et même la parution d’un deuxième album, plus mature en 1994, toujours produit par Chris Hufford, n’y changera rien. Il était déjà trop tard, plus personne ne s’intéressait à eux, et ils restèrent cantonné au rang d’éternel espoirs. La lassitude finit par l’emporter, d’autant que déjà, les membres de Blind Mr Jones, passaient pour des vieux auprès des groupes Brit-Pop comme Menswear ou Supergrass.
Le groupe se sépara dès 1994, sans qu’on sache bien ce que ces musiciens devinrent par la suite.

Discographie :


Blind Mr Jones : Stereo Musicale


Stereo Musicale de Blind Mr Jones
Coup de coeur ! 

Sortie : 1992
Produit par Chris Hufford
Label : Cherry Red


Le premier essai de ce (très) jeune groupe résume à lui tout seul tout ce que le courant shoegaze pouvait représenter à l'époque de pédant et de particulièrement infantile.
Objet de la moquerie et de la condescendance de certains en raison de la naïveté de ces musiciens, à peine majeurs, Blind Mr. Jones avait déjà des envies culottées qui démangeaient. La pochette, très adolescente et loin de style arty des autres, prêtait à sourire. Adoptant un chant sublime très angélique et éthéré, qui dénote pour un groupe de rock, surtout masculin, Blind Mr. Jones éveillait la curiosité, puis très vite de la condescendance.
Et sa musique ne faisait rien pour éviter d'être ainsi stigmatisé: belle, planante comme décoiffante, elle mêlait dans une joyeuse pagaille, stylisme raffiné et psychédélisme, jusqu'à y insérer violon et flûte, parfois en overdose ! Se posant délicatement entre des instrumentaux étranges (« Lonesome boatman »), les chansons ne suivaient que des détournements, longs et intenses (« Spooky Vibes »), au cours desquelles les parties chantées se réduisaient à de simples vocalises béâtes et sublimes.
Cela eut tôt fait de mettre à l'écart ce style musical, trop spirituel et saugrenu pour attirer les faveurs d'une audience grand public. D'autant que la concurrence parmi le shoegaze de ces années-là, était telle qu'une lassitude se fit place, enterrant nombre de formations qui se ressemblaient plus ou moins et étaient nourries des mêmes inspirations. Il était irrémédiable que Blind Mr Jones soit comparé à ses pairs, et cela lui fut fatal, version en culotte courte des plus grands.
Mais pourtant, ce que savait faire aussi Blind Mr Jones, et avec un talent précoce, c'était d’établir de véritables trips jouissifs à l'aide d'un mur du son phénoménal et de jeu en perte et fracas.
Les chansons sont toutes longues, complexes, alambiquées, entre crescendo monumental (le final hallucinant de « Against the glass ») ou excursion expérimentale (l’obsédant « Small Caravan » et ses percussions). L'intensité est réelle, que ce soit dans ces ouragans où le groupe lâche les brides et laisse exploser un jeu chatoyant et ébouriffant (« Going on cold »), ou bien que ce soit dans ces voix, sublimes de pureté cristalline (« Regular disease »). Les arrangements sont tous somptueux. Les guitares descendent en vrille tout au long de ce disque déjanté. Les mélodies ressemblent à de véritables contes de fées. Quant à « Going on cold », assurément un pur moment d’envoûtement, l’enchevêtrement de voix solennelles dans la légèreté et des guitares qui montent crescendo, laisse pantois d’admiration. Seulement ces aspirations seront trop absconses, parfois virant vers une musique trop emphatique, qui glissera peu à peu vers une caricature d’elle-même (« Sisters », lorgnant presque sur le prog-rock).
Tant pis s'il s'agit d'une musique trop abstraite, rêveuse et finalement égocentrique. Tant pis si Stereo Musicale, sans doute trop considéré au premier degré et vite réduit à un terrain de jeux pour jeunes gamins, ne s'attira que l'incompréhension. Tant pis si Blind Mr. Jones n'eut jamais le rayonnement espéré.
Seule compte la poignante émotion que cet album, rempli de grâce, parfois amusante, souvent saisissante de justesse et de vérité, sait transmettre à cette partie de nous qui refuse de grandir.

Blind Mr Jones : Tatooine


Tatooine de Blind Mr Jones

Sortie : 1994
Produit par Chris Hufford
Label : Cherry Red


C’est intriguant mais le violon transcendantal et les quelques « Hey hey hey », lancées comme ça à l’aveuglette, de manière douce et presque fatiguée, plonge aussitôt dans une ambiance incroyable, tranquille, presque zen, que les éclairs de guitares ne viendront même pas perturbé.
Dès ce premier morceau, fantastique, envoûtant et qui reste dans la tête pendant des heures, on sent que tout au long de l’album, on naviguera en eaux paisibles, proche d’un psychédélisme moderne.
Blind Mr Jones fait preuve d’une maturité extraordinaire, présentant des classiques immédiats (« Disney world »), des morceaux attachants (« See you again », sa basse magique ou son refrain ! Quel refrain !) ou bien des complaintes brumeuses (« Drop for days »), sans défaillir à aucun moment dans la qualité. Quelque chose de plus dramatique vient s’immiscer dans leur composition, à l’instar de cette flûte fantomatique qu’on retrouve sur « Viva fisher », soutenue dans la tristesse par des violons. Est-ce là le prix à payer pour passer à l’âge adulte ?
Clairement, Tatooine est l’évidence d’un cap franchi : plus réfléchi, moins enlevé, plus lent et moins bruyant. Fini les espérances adolescentes et sa suffisance qui mettait un point d’honneur à vouloir satisfaire des folies de grandeur. Les membres de Blind Mr Jones savent bien maintenant que cela n’est pas possible. La prise de conscience s’accompagne alors d’un défaitisme indélébile.
le travail de production sert idéalement cet album qui se retrouve doté d'un son clair et limpide rajoutant ainsi au caractère léger et enlevé de cet opus. L’urgence devient secondaire ici, et on n’hésite pas à mettre en avant une sorte d’état d’esprit plus contemplatif, voire même bucolique, comme sur « Big plane » et sa guitare sèche. Les voix sont toujours aussi douces et éthérées mais elles soufflent cette fois-ci un vent d’apaisement. Qu’auraient donc à dire ces anglais ? Ils savaient pertinemment que leur temps était passé et qu’on n’allait guère s’occuper d’eux.
C’est bien dommage car en 1994, tout était déjà fini, la mode était passée. Alors les membres de Blind Mr Jones ne chantent que pour eux, et pour le plaisir d’une certaine musique : tempérée, reposée, comme sûre d’elle et de son pouvoir d’attraction.
Car avec ces chansons calmes, au charme instantané, comme « Please me » ou le sublime « Mesa » qui conclu l’album, on côtoie un univers simple, lumineux et mélancolique, où jamais on n’osera monter de ton. Et il est stupéfiant de voir à quel point le groupe a mûri et a gagné en qualité d’écriture. L'album s'écoute d'une traite, et s'apprécie selon l'humeur de l'instant, pour y goûter à chaque fois un moment de sérénité.

1 juin 2007

My Bloody Valentine : Loveless


Loveless de My Bloody Valentine
Mythique !
Sortie : 1991
Produit par Kevin Shield et Alan Moulder
Label : Creation Records


Dès que la touche play est appuyée, le décollage se fait, les éléments ne sont plus maîtrisés, à l’image de cette impression tenace que le disque tourne mal, que le diamant glisse ou dérape, les nappes énormes de guitares font des mouvements de balancier, soutenus par une basse assourdissante, on se sent secoué, puis l’éclaircit arrive et on aboutit à un univers envoutant, cajolé par une voix angélique et duveteuse, et une batterie métronomique, avant de reprendre de plus belle dans la fusion mantellique. C’est « Only Shallow » et déjà on sait que cet album repousse les limites.
 Véritable millefeuille musical, Loveless explore les possibilités sonores obtenues avec des guitares, tirant tout ce qu'il est possible de tirer comme essence à partir d'accords parasités et molestés. A un point tel qu’on ne reconnait plus les guitares, mais qu’on ne distingue plus que des vrombissements, des passages de fantômes, des froissements d’ailes de papillon ou des décollages de vaisseaux (« To here knows when » ou « Blown a wish »). Cette saturation exagérée n'est que le signe d'une infinie douceur. En même temps extrêmement rêveur et romantique, pétrissant dans le même moule violence et mélancolie, l'atmosphère de My Bloody Valentine ressemble à une déflagration calfeutrée et au ralenti, à la traînée d’une comète au lointain, ou bien à un cri dans l’oreiller. 
Et les mélodies ne prennent alors de l'ampleur qu'à partir du moment où elles ont été étendues sur de longues minutes incessantes, au cours desquelles elles n'auront cessé d'être malmenées, écrasées, enrobées, étirées, recouvertes par un voile opaque. C’est sous un mixeur que la beauté de « When you sleep » peut apparaître, son riff agressif, ses vocalises adorables et ses sifflets. Même chose pour les guitares sèches de l’extraordinaire « Sometimes » qui ne sont jamais aussi lancinantes que lorsqu’elles sont souillées par un nuage de grésillement. Tout du long, les voix sont splendides, comme descendues du ciel. Loveless est-il l'album shoegaze ultime ? Beaucoup se posent la question. A défaut de réponses apportées avec certitude, cette interrogation met en avant le fait que trop rarement dans l'histoire de la pop music, on avait osé expérimenter tout en souhaitant ardemment rester dans un esprit pop. Les londoniens, eux, l'ont fait.
Ils sont allés encore plus loin que le discours. Ce n’est même pas la peine d’ailleurs d’essayer d’entendre les paroles. Les lignes de chants se limitent souvent à de longs « ouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh » répétés inlassablement, suaves et d’une légèreté incomparable. Et si on arrive à comprendre quoi que ce soit, c’est pour tomber sur des textes cryptiques, composés de non-sens ou d’allégories. Cette musique a coupé court aux mots, aux sens, aux messages, pour les dépasser et ne livrer qu’un bloc uni de sensations, dont l’impact est plus du domaine de l’intuitif que de la raison. Des morceaux comme « What you want » ou le terrifiant et écrasant « Come in alone » ressemblent à un débordement de lave envoûtant et mystique qui s’échapperait de la platine pour couler et se répandre partout. On ne retient que l’image de la pochette, sorte de pertinence rétinienne, de mirage indélébile. Cette guitare floutée sous un voile rose qui se fait métaphore du contenu. A moins que ce ne soit l’inverse. Ici, ce sont les sensations qui auront le pouvoir. Plus tacite que rationnelle, la machine de My Bloody Valentine explose tous les repères traditionnels. Là où d’habitude la batterie est toujours le point d’accroche, ici, elle passe au second plan. Là où les guitares s’emballent, elles glissent lentement vers une monotonie saisissante. Là où le chant s’engage, il se fait androgyne et vaporeux. Le résultat ne ressemble à rien de connu.
Il n’y a plus vraiment de chansons d’ailleurs, mais des plages, des plages quasi-interminables de bidouillages ramassées sur eux-mêmes, un nuage bourdonnant de couleurs et de viscosités, de coulées, de choses qui disparaissent, d’autres qui apparaissent. Aboutissement de plusieurs années de travail acharné en studio, Loveless révèle toute la démesure et la folie de Kevin Shields, bidouilleur du son pointilleux, monomaniaque et perfectionniste. Au sein de ce fouillis sans nom, pourtant d’une production impeccable, il n’y a plus qu’à se laisser envahir de sensations gluantes, merveilleuses, qui prennent tout l’espace et envahissent chaque parcelle du corps. 

Fasciné par une telle chape de plomb, il est difficile de s’extirper et pourtant, c’est noyé par cette nasse, qu’on surprend une grâce sans pareille. Le riff addictif qui se réitère à l’infini de « Soon », accompagné par un petit rythme secouant à la batterie et par des zébras de saturations, trotte dans la tête pour longtemps. Jusqu’à avoir l’impression d’être vraiment parti dans un autre monde, magique et féérique, le tout, rien qu’avec des saturations de guitares et des embryons de chants. Et il n’y a que My Bloody Valentine pour avoir accompli un tel miracle.