28 septembre 2007

Fiche artiste de Fudge


Fudge

Il était difficile, voir impossible, pour un groupe tel que Fudge, de s’imposer dans une ville comme Richmond où la seule musique qui s’écoutait depuis la fin des années 80 était du métal. Surtout lorsqu’on se dit fans du label Sarah Records.

 « C’était bizarre de faire de la pop à cette époque. On était vraiment considéré comme des poules mouillées » reconnaît David Jones, le guitariste du groupe. « J’aime le football mais j’aime aussi la pop de poltron, c’est comme ça. Je passais mon temps à réserver des places de concerts de chacun des groupes de Slumberland, comme Black Tambourine, et je me foutais des autres groupes »[i]. Ce qui l’a poussé à venir fonder un groupe, c’est sa rencontre avec Mike Schulman. A cette époque, celui-ci dirigeait un magasin de disques que fréquentait assidument David Jones. Le dirigeant du label Slumberland et quelques autres (Jenny Toomey, Kristin Thompson, ainsi que Mark Robinson) ont alors monté le Pop Losers Festival en 1991 qui fut déterminant dans le lancement de toute la scène indie pop de la côte Ouest américaine. Et bien-sûr il put voir la venue de David Jones, accompagné de Tony Ammendolia, dans l’espoir de saisir leur chance en tant que groupe tout fraîchement monté.
Dès leur arrivée à Alexandria, les deux comparses enregistrent quelques chansons sous différents noms (Engine #9 ou bien Twitch Hazel, avec la participation de Wally Heasley, futur Kurt Heasley de Lilys) et font passer le mot par bouche-à-oreille dans les universités, en évitant soigneusement les amateurs de métal.
Et le buzz se fait petit à petit. Ils se font d’abord aider par Archie Moore, autre patron du label Slumberland pour être diffusé. Puis Fudge, enfin un vrai groupe, suite aux additions de Steve Venable et Mike Savage, signe sur un label californien, en l’occurrence Caroline, et enregistre ce pétillant premier album en 1993.
On le sent, on le devine, aux lignes suivies qui refusent de choisir délibérément un camp, que Fudge se laisse tenter aussi bien par le shoegaze anglais, que par les tendances indie américaine. Tony confirme : « Nous ne sommes pas des shoegazers. Beaucoup de gens nous voient comme ça mais nous sommes plus un groupe de rock traditionnel dans notre façon d’appréhender la musique. On ne reste pas comme des piquets à regarder nos pieds »[ii].
Cette volonté de se démarquer du shoegaze allait conduire jusqu’au deuxième album, « Southside Speedway », qui finalement ressemblera beaucoup à ce que faisait les groupes power-pop de l’époque. Le problème de Fudge fut de vouloir plaire au public de Richmond, principalement constitué de kids en mal de gros sons. Mais après tout, n’était-ce pas là le lot de tous les groupes d’indie pop qui ont succombé aux charmes des majors ?« Le piège dans le milieu indé, c’est de se croire obligé de changer perpétuellement, au risque parfois de se dénaturer » regrette David Jones. « Mais on se rappelle de tous ces gens qu’on a connu et qui nous ont apporté beaucoup »[iii]. Les regrets, donc, on y revient toujours. Mais pour avoir été en marge de la scène de Richmond et avoir contribué, en matière de pionnier, à l’émergence de la pop indie sur la côte Ouest des Etats-Unis, quand bien même l’histoire se terminera de manière bancale, la tentative de Fudge ne peut être que saluée.



[i] David Jones, référence perdue.
[ii] Tony Ammendolia cité par Tony Norman, sur Pittsburgh Gazette, 11 mars 1993, [en ligne] http://articles.chicagotribune.com/1993-03-11/features/9303191171_1_fudge-band-fuzzy-guitar
[iii] David Jones, référence perdue.

Fudge : The Ferocious Rhythm of Precise Laziness


The Ferocious Rhythm of Precise Laziness de FudgeSortie : 1993
Produit par Fudge et John Morand
Label : Caroline

Pour un groupe américain, qui plus est, basé à Richmond, les guitares sonnent beaucoup trop claires, les voix trop douces, et pourtant certains passages se livrent à des explosions, en prise avec le concret, dévoilent des riffs bien sentis et soubresauts brûlant, sans pour autant patauger dans la lourdeur. Clairement Fudge semble avoir envie de signer là un ensemble de titres pop efficaces et mélodiques, et pourtant son album ne ressemble à aucun autre !
De la power-pop, certes, mais qui passe sans accrocher, à cause d’une identité pas assez marquée. Et puis, progressivement le charme agit : l’atmosphère de « Peanut Butter » intrigue et séduit, ensuite ce sera le volontiers direct « Wayside » qui stimulera les récepteurs auditifs, avec son refrain à gros sabots, ses grosses guitares libératrices, son fuzz gras irrésistible. Le groupe, quand bien même ne s’amusera jamais à alourdir d’un demi-gramme son chant, gardera toujours les pieds ancrés au sol, pour donner un souffle plus rock à ses compositions. Ce sera le cas par exemple avec « Pez » ou « Drive », à la batterie particulièrement mis en avant, aux riffs évoquant tant le grunge que l’emorock et aux refrains simples, voire simplistes.
Cependant Fudge ne voudra rien faire comme personne, ou tomber dans la facilité, ce qui lui vaudra quelques choix peu judicieux, comme le passage groovy de « Wayside », les claviers fous et ses chœurs grotesques qui gâchent un peu le final de « Mull » ou le dub expérimental « 20 – Nothing Dub », tout à fait dispensable. Mais ce goût pour sortir des sentiers battus de la pop mélodique se ressentira au cours de morceaux absolument splendides, aux climats mi-tendus, mi-évasifs, absolument jouissif.
On retiendra tout d’abord « Oreo Dust », qui ouvre l’album de manière excitante, avec cette voix douce mais claire et distincte, ces réverbs distordues, cette batterie, et surtout son refrain éclatant, qui explose à la figure, avant de vite être coupé par un relâchement et de reprendre à nouveau, etc…
Puis également l’épique « Astronaut », dont les guitares semblent en totale liberté et se laissent aller alors à l’expression de plusieurs humeurs : tantôt tranquilles, tantôt fougueuses. Accords doux qui accompagnent un chant gracieux et léger, égrenages de notes à la guitare sèche ou bien vortex électriques : on trouve de tout et l’ensemble s’enchaîne pourtant à merveille. Par moment, les guitares peuvent exploser en gerbes saturées, scellant ainsi l’emprise du groupe sur l’auditeur. Après, il ne sera plus question de le lâcher, le laissant dériver lentement au cours d’un passage aérien, soutenu par un harmonica magnifique, qui s’achève en déflagration inouïe.
Fudge surprend. Là où attendrait plus de prise de position en faveur d’un rock simple et efficace, le groupe fait l’inverse et enchaîne les morceaux fougueux à d’autres plus rêveurs et attentistes. Après un « Mystery Machine » par exemple, catchy à souhait, le groupe poursuit avec un doucereux « Mull » accompagné de violons et aux voix doublées et virginales. Difficile à suivre donc, pour ceux qui voudraient qu’on balise le chemin.
Mais Fudge n’en est pas là, et s’amuse. Avec ses références, avec sa simplicité et son écriture, qui tout en s’appuyant sur une certaine réalité, n’oublie pas parfois de rêver un peu, le groupe affiche une attitude dilettante mais exquise. Au regard de « Snowblind », un final dont on ne pouvait pas mieux rêver, concluant l’album sur un contre-pied : une envolée lyrique, soyeuse, au riff triste dont le slide hypnotique finit par se perdre dans un souffle de vent.

Fiche artiste de SIANspheric


SIANspheric


Adeptes des atmosphères léthargiques, inspirés à la fois du shoegaze de Slowdive et du space-rock de Windy and Carl, voire des Boards of Canada, les membres de SIANspheric ont distillé une musique particulièrement planante durant plus d’une décennie maintenant.

Leur façon d'étirer leur musique cosmique et leur son, parfois très lourd, dépasseront les cadres déjà connus, pour explorer de nouveaux espaces d'expérimentation, qu'à défaut, on nommera post-shoegaze.
Le groupe a toujours été rattaché au label indépendant Sonic Unyon, qui leur permet de sortir leur premier album en 1995, un an après leur formation à Toronto, au Canada. Mais c’est surtout grâce à de très nombreux shows, dans leur pays essentiellement, que SIANspheric assoit sa notoriété. C’est vers cette période que Sean Ramsay (chant et guitare), Steve Peruzzi (basse et chant), Paul Sinclair (guitare) et Matt Durrant (batterie) se lieront d’amitié avec Swervedriver, dont ils ouvrent les concerts. Ils resteront en contact avec Adam Franklin, avec qui ils enregistreront un split-album.

Avant cela, le groupe connu quelques changements de line-up : arrivée de Jay Patterson à la basse et de Locksley Taylor à la guitare), ainsi que l’enregistrement d’un troisième album, encore plus porté sur les climats éthérés.
Une collaboration se fera entre le groupe et celui d’Adam Franklin, Toshack Highway, dont le résultat fut un album en commun, sorti en 2003. « Magnetic Morning / Aspirin Age » réserve donc les cinq premières chansons à l’écriture d’Adam Franklin, les autres à SIANspheric.

Par la suite, un DVD comprenant des extraits de concerts, des faces-b et quelques unes de leurs chansons dans une version retravaillées paraîtra en 2006. Pour l’instant, un nouvel album est annoncé.

SIANspheric : Somnium


Somnium de SIANspheric
Sortie : 1995
Produit par The Shimmer Twins, Rob Sanzo et SIANspheric
Label : Sonic Unyon


Le rythme lent, soporifique presque, permet de créer tout l’espace nécessaire à la coulée de fluides, vagues de guitares féeriques et irréelles, de bulles fantomatiques ou autres épanchements cosmiques (« This window », étiré et flottant). Et lorsque les guitares se crispent et que le volume sonore est poussé au maximum, l’effet psychédélique n’en est que plus saisissant, en témoigne le superbe morceau d’ouverture, « Turbulent. Hydrodynamic ».
Sianspheric évolue dans des univers chers au space-rock, à la dream-pop ou encore au shoegaze qui commençait tout lors à disparaître. Autrement dit, ça prend son temps. Calme et relaxation sont les maîtres mots au cours de ces chansons (ou plutôt plages sonores) qui allongent les durées au-delà des cinq minutes, voire vingt pour le morceau de conclusion. « Where the planets revolve, I wish I was there » est une odyssée fleuve d’ambient et de space-rock, tranquille, répétitif et nonchalant. Album idéal donc pour rêvasser paisiblement et se laisser dériver.
Le champ libre est laissé à l'épure, l’amplitude, la lumière, avec pour objectif clair d'envoûter un maximum. La retenue sidérante dans l'utilisation de la batterie ou des percussions et le contournement des guitares en forme de bulles de savons n'en finissent pas d'étonner (« Broken man » ou « Zoe », la seule chanson qui fasse appel à des guitares sèches). L'intervention des instruments ne sert pas à définir des lignes distordues mais plutôt un axe droit, savamment dessiné et enrichi de pluies d'or, de volutes magiques et d'ambiances lourdes. Les voix sont lointaines, non pas dans l'intensité mais dans les intentions. Douces, ouatées et presque lasses, elles ne prennent jamais les devants mais concourent à souligner délicatement l'ambiance céleste de cette musique. « The stars above » n’est que l’expression de guitares féériques, tandis que la batterie reste émoussée.
Et lorsque les guitares ne se retiennent plus et qu'elles s'emballent pour un mur du son gigantesque, lourd, pesant, métallique, tout en tempête ultra-carrée et maîtrisée à la perfection dans ses coupures, on vacille sur nos repères. C’est le cas pour « I like the ride » avec ses saturations tonnantes ou « Needle » dont le début aérien ne laisse rien présager du déboulé cyclonique d’un riff énorme. Comme berceuse, on a connu plus doux. Mais l'intensité participe grandement à rendre cet univers nébuleux plus concret et subtil. Sur « Watch me fall », l’intro est frémissante, avec maracas, guitares spatiales, voix hagarde façon The Verve à leurs débuts, puis une immense saturation déboule sans prévenir, s’imposant comme une énorme masse froide et gluante.

L'effet de fascination n'est donc jamais rompu.

22 septembre 2007

Fiche artiste de Chapterhouse



Chapterhouse

Ces petits jeunots de Reading ont souvent été considérés comme les protégés de Sonic Boom (leader des Spacemen 3) qui s’était pris d’affection pour eux. Se faisant la main en première partie des Spacemen 3, partageant le même manager, et le même label Dedicated (sub-division de BMG), on les soupçonna d’avoir bénéficié de pistons. Les premières chansons utilisent d'ailleurs des subterfuges shoegaze qui peinent à masquer leur côté psychédélique crasseux. Ce ne fut donc qu’après leur troisième single (le sublime « Pearl » où figure Rachel Goswell) que Chapterhouse apparût comme un des groupes les plus talentueux de sa génération. Le son, moins brouillon, se drape d’ambitions, tout comme de grâce, ce qui surprend de la part de gamins qu’on avait regardé de haut jusque là. Ils osent même mélanger la féerie aux beats artificiels des boites de nuit. Et à posteriori, leur opus Whirlpool figure parmi les plus grandes réussites du genre. Ce qui ne sera pas le cas de leur deuxième album Blood Music, plus orienté electro-danse, sorti juste avant que le groupe ne se sépare. Bien dommage pour un second couteaux qui aurait mérité d'être à la même place que les grands du mouvement shoegaze.

21 septembre 2007

The Boo Radleys : Everything's Alright Forever


Everything's Alright Forever de The Boo Radleys

Sortie : 1992
Produit par Ed Buller et The Boo Radleys
Label : Creation


Dès le départ on sent que le groupe a décidé de surprendre : les guitares sèches hispanisantes de « Spaniard » déstabilisent d’entrée, avant que la voix douce, très apprêtée, de Sice ne vienne ajouter une dose de majesté éblouissante à cette toute petite berceuse qui se conclu sur un superbe concert de trompettes.
Un morceau, en ouverture qui plus est, et on navigue loin des eaux territoriales. La seconde d’après et c’est un tonitruant « Toward The Light », court et fugace, qui assomme l’auditeur, avec ses saxos complètement barrés. Et ce n’est pas un « Losing it (song for Abigail) » qui va changer la donne : étrange, expérimental, basé sur des superpositions de sons et de samples, avant de s’éteindre et de laisser la place à une seconde partie plus douce et vaporeuse, sans cesse interrompu par des claviers cheap, évoquant les bruits des premières consoles de jeux.

Ce deuxième opus se révèle très éclaté, tentant trop de choses en même temps, bouillonnant, incapable de se concentrer sur une idée à la fois, passant vite à autre chose, ce qui est probablement à l'origine d'un manque d'unité. Il n’en demeure pas moins un amour pour les guitares, leur capacité à déclencher de vives secousses et leur son si saturé, si déchirant, au service de chansons pop miraculeuses et à haute valeur psychédélique. Sice, à la voix toujours si légère, tient la barre, soutenu par ses acolytes disciplinés mais on embarque pour ce qui est une traversée sans retour, dans des mondes imaginaires et bariolés. Album cosmopolite, Everything’s Alright Forever se veut un fourre-tout, sans qu’on puisse savoir ce qui va venir, à l’image de la magnifique chanson à tiroir « I feel nothing », dont quelques arpèges à la guitare sèche sortent d’un brouhaha de distorsions, pour être ensuite noyé par un vombrissement énorme.

Emmenées par un rythme effréné, des guitares qui sont utilisées pour dresser des arias sonores recouvrantes et un chant doux comme un nuage, des perles comme « Does this hurt ? » ou « Lazy Day » sont de purs régals de bonheur pop. Derrière les couches de guitares se cachent toujours quelques surprises, comme une guitare acoustique (« Firesky »), des voix trafiqués, qui se répètent, détraquées (« Room at the top ») ou des passages langoureux (« Paradise »). On a la tête qui tourne à la fin, tant on a été bringuebalé tout du long.
Bénéficiant, enfin, de moyens de production à la hauteur de ses ambitions, Martin Carr trouve là un son de qualité pour ses brises de saturations et autres tempêtes qui baignent l’album. On aboutit alors à un résultat qui relaxe et apaise les esprits, comme sur le diptyque « Firesky » / « Song of morning to sing », où le premier se languit dans le brouillage, tandis que l’autre, étonnement clair, se mue en douce ballade qui monte en puissance… avant de vite retomber.

Même si on connait de The Boo Radleys volontier les albums suivant "Everything's Alright Forever" ne démérite pas à côté et mérite qu'on lui rende son titre de chef d'oeuvre du shoegaze.

19 septembre 2007

Fiche artiste de Black Tambourine


Black Tambourine

Aujourd’hui culte et respecté, le label Slumberland fait figure de modèle d’intégrité et de définition du mot indépendant. Il ne serait rien sans Black Tambourine. Autour de la chanteuse Pam Berry, on retrouvait le guitariste Mike Schulman, le bassiste Archie Moore (qui auparavant appartenait à Velocity Girl ; le monde est petit) et le bassiste Brian Nelson (initialement chez Whorl ; décidément…).
Mais en fin de compte, à l’écoute de ces chansons géniales, noisy et naïves dans leur absence de prétention, on se dit que ce sont beaucoup de choses qui n’auraient pu exister sans Black Tambourine. On pense à une certaine idée de la joie simple et enfantine que peut procurer la musique dans tout ce qu’elle a d’innocente et de préservée.

Black Tambourine : Complete Recordings


Complete Recordings de Black Tambourine

Indispensable !

Sortie : 1999
Produit par Black Tambourine
Label : Slumberland

Certes, ce n’est qu’un recueil de dix titres pas plus, deux singles et des chansons parus sur des compilations, pour être précis, le tout pour une durée qui n’excède même pas vingt-cinq minutes, mais c’est déjà beaucoup.
Pour se rappeler au bon souvenir de son groupe fétiche qui l’a accompagné à ses tout débuts, le label californien, Slumberland, se décide de rassembler toutes les chansons écrites par Black Tambourine au cours de son existence. Exercice pas si difficile que ça, puisque l’anthologie ressemblera à un maxi, ou tout au plus à une démo.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit : des démos. Le groupe n’aura pas de carrière plus longue. Il ne s’agira donc pas des démos du groupe, mais bien au-delà, des démos de tout un pan de l’histoire du rock américain qui commençait à prendre forme. La naissance de l’indie pop, celle des miséreux, des cœurs sensibles sans le sous, qui se cramponnèrent à l’éthique lo-fi pour imposer leurs idées chaleureuses à un monde trop froid.
Une voix magique et céleste, parfois mutine, (celle de Pam Berry), quelques guitares saturées et particulièrement crades, une basse rebondissante, une batterie hyper basique qui se contente d’enchaîner les coups sourds, de la fraîcheur et surtout beaucoup de talent: ce groupe américain avait compris qu'il ne suffisait pas de déployer des moyens énormes pour écrire de belles chansons.
Des titres comme « I was wrong » ou « We can’t be friends » sonnent comme un clin d’œil à tous ces groupes anglais, comme The Jesus and Mary Chain mais aussi The Primitives, Shop Assistants ou 14 Iced Bears (dont le groupe se disait très influencé), avec leurs guitares saturées, qui pervertissent juste ce qu'il faut les mélodies chatoyantes des morceaux. Il n’y a rien à redire. Tellement frais, tellement innocent et tellement mythique qu'on en redemande sans cesse. Et on ne cesse de découvrir alors ces trésors originaux et pourtant si élémentaires. Sur cet opus on y trouve une valse improbable (« Drown »), une petite bombe sonique (« Throw aggi off the bridge »), une complainte éthérée incroyable et sublimement frappée de saturations (« By Tomorrow » et sa basse lancinante qui hante encore les esprits), un joyaux langoureux bercé de fuzz et de distorsions (« Black Car ») mais également un morceau particulièrement étrange, à la basse increvable qui glisse imperceptiblement vers le cafouillage sonore tandis que le chant tente désespérément de se maintenir hors de l’eau et de conserver sa grâce (« Pack you up »).
Toujours aussi déséquilibrées dans l'esprit et fulgurantes dans la forme, ces chansons éternelles sortent du lot par leur éloquence fragile et brouillonne. Dans une atmosphère attachante, ces pauvres rêveurs ont su donner ses lettres de noblesse à une pop impudique, mal dégrossi et ultra simpliste. C'est frais, spontané et irrésistible.

16 septembre 2007

Fiche artiste de Stereolab


Stereolab
Stereolab a toujours flirté avec l’expérimental, n’hésitant pas à baser ses chansons sur des boucles sans cesse répétées et très psychédéliques. En plus influencé par le kautrock, on retrouvera également des affinités avec l’electro-pop-kitch (la clavieriste Catherine Gifford ayant joué un rôle prépondérant dans le style du groupe), le shoegaze, l’easy-listening à la Bacharah, la pop française des sixties, le bossa-nova, le jazz, l’expérimental et la musique contemporaine.
En cela, ils seront la définition du post-rock. Réputé groupe intellectuel, les albums et les singles auront du mal à se placer au sommet des charts. La signature sur la major Elektra prendra fin, les obligeant à monter leur propre label Duophonic. Ceci dit, leur notoriété dans le milieu underground anglais leur permettront des collaborations avec des artistes aussi divers que Blur, Nurse with Sound, Tortoise ou bien le sculpteur Charles Long.

Chouchou des critiques de rock, Stereolab se vit néanmoins reprocher des textes engagés, voire marxistes. Malgré sa défense, Tim Gane se revendiquant des mouvements Situationniste et Suréaliste, le leader des Stereolab sera critiqué pour transformer ses chansons en slogan. En témoigne le titre « Ping-Pong » sur l’album « Mars Audiac Quintet», sorti en 1994, qui sera objet de la plus vive polémique.
Musicalement, le style du groupe, basé sur des boucles hypnotiques, qu’elles soient composées de guitares noisy ou de claviers, fournira pour beaucoup matière à s’évader dans des atmosphères indolentes.

C’est lors d’un concert à Paris de Mc Carthy (groupe qui participait au mouvement C-86), que Tim Gane, qui en était alors le leader, rencontre la jeune française Leatitia Sadier. Désireuse de se lancer dans cette histoire d’amour (le couple aura un enfant en 1999 avant de séparer deux ans plus tard) et lassée de la scène indépendante française, elle se décide de le suivre et de s’installer à Londres. A eux deux, ils formeront Stereolab, s'essaieront au shoegaze et débuteront sur le label Too Pure, qui venait tout juste de se monter (c’est le label Slumberland qui assurera la diffusion aux Etats-Unis). De nombreux collaborateurs participeront à l’aventure, dont Sean O’Hagan, qui s’en ira former The High Llamas ou la chanteuse australienne Mary Hansen (décédée en 2002 lors d’un tragique accident de la route).



Stereolab : Switched On


Switched On de Stereolab

Coup de coeur !
Sortie : 1992
Produit par Stereolab
Label : Too Pure / Slumberland


Le label Too Pure eu la bonne idée de publier ce recueil des premiers singles du groupe à peu près au même moment que leur premier album. Ils reprennent l'esprit volatil du shoegaze, passé sous un mixage particulier, celui du krautrock. Et permettent de voir comment le mouvement shoegaze a été la rampe de lancement des folies du groupe, à grand coup de loops de guitares saturées et de dédoublement de voix légères. Ces chansons sont toute basées sur des boucles de guitares tranquilles, lancinantes, sur lesquelles vient se déposer comme du velours la voix grave de Laetitia Sadier.
C'est donc avec un réel plaisir que l'on découvre les perles originales que sont « Super-Electric », « Au Grand Jour » (et les voix graves qui se répondent) ou « Brittle », sortes de bonbons sucrées, enrobés de furia électrique, de basse proéminente et de saturations sans fin. Laetitia Saddier chante avec un sérieux des plus ensorcelants, quelque part entre la voix de Nico, une morgue toute française, et la légèreté éthérée de Miki Berenyi, d’autant que sa voix est parfois doublée (l’inconnue Gina Morris) pour des vocalises angéliques. Toujours très douces et agrémentées de claviers kitch, les chansons de ce recueil s’amusent avec l’art des boucles sonores, aboutissant à des climats aériens étourdissants, dont la langueur envoûte. 
La basse et les arpèges noisy de « The way will be opening » sont fascinants, tout comme les chœurs mystiques de « Contact », appuyés par une batterie métronomique, qui se terminent sur un final long et savoureux. Le rythme y est globalement indolent, pour insuffler une sorte de torpeur à l’auditeur et l’emmener vers un état à la fois relaxant et déconcertant.
On en oublierait presque la réalité physique de tout ce qui nous entoure, des agacements quotidiens, des doutes fugaces, pour ne se concentrer que sur cette musique brillante. Moment de grâce placide et pure évasion séminale, « High Expectation » et ses ‘’I’m sorry’’ hoquetant, figure une indolence telle qu’elle ensorcelle. 

La répétition hypnotique est le maître mot de Stereolab dans une veine influencée par le krautrock mais qui reste feutré, doux et presque enchanteur de par les superbes parties de guitares noisy d’une intensité transcendantale. 

13 septembre 2007

Fiche artiste de Candle


Candle
Julien et Isabelle se sont rencontrés à Paris et ont décidé de former tout d'abord un groupe shoegaze. Mais face à l'étroitesse d'une partie de la presse et de la pression de leur label Lithium, ils préféreront se désengager, monter leur propre structure et s'initier au post-rock sous le nom bien plus connu de Carmine.

Note : merci à Cocteaukid qui a permis à ce que ce groupe français ait place sur ce site.

Candle : Beginning Blue


Beginning Blue de Candle

Sortie : 1992
Produit par Julien Retaillaud
Label : Lithium


L’état de grâce que peuvent atteindre les groupes shoegaze se situe exactement là, à 3 min 36 de « No Eyes », lorsque le rythme ralentit et que les guitares s’effacent pour céder la place à une lente coulée de voix célestes et innocentes qui finira par s’éteindre progressivement, alors que la chanson avait pourtant évoqué une banale construction à base de saturations acérées et de rythmes répétitifs et entêtés. La magie résulte de la combinaison, troublante, antinomique, de la section batterie/basse très groovy, et du chant, lymphatique. Jamais roulement de caisse n’avait autant suscité le désir de secouer la tête dans tous les sens. Pris dans ce vertige, les sens s’égarent, on est proche du vertige et les douces voix de Julien et Isabelle traversent alors l’esprit comme s’il s’agissait d’apparitions, qui viendraient de loin et qui donneraient l’impression de flotter.
L’entrée en matière met ainsi dans les meilleures dispositions, les guitares lentes, saturées et saignantes n’ont plus qu’à englober l’auditeur et le plonger dans une atmosphère très étrange, vaguement floue et vaporeuse. Le duo de voix, semi-chantées, semi-parlées, sur « Harmony » sème la confusion. Et tout le jeu est basé sur le contre-pied, que ce soit par l’utilisation d’un rythme sans cesse sur le fil ou sur les coupures incessantes d’éclairs noisy. Les boucles harmoniques, l’apparition d’un tambourin et les superpositions de saturations ne font que concourir à l’effet hypnotique que procure Candle. Les titres prennent alors plus d’ampleur pour insuffler un courant planant à l’œuvre.
Une évasion qui permettra de s’évader de la chape de plomb que représentent la vie quotidienne et ses astreintes. Le désir d’un monde sans douleur (on se rappellera du poème laissé par Isabelle sur un des albums de Carmine où elle parle de sa première expérience sexuelle comme d’une souffrance étouffante) qui pourra être atteint au travers la quête des plaisirs. Et le paradoxe sera d’autant plus étonnant que les plaisirs naîtront justement de la douleur (Isabelle compare l’orgasme à « un bruissement d’ailes très doux » à l’endroit même où « la bête mordait le plus férocement »). Confronté à la réalité que l’épanouissement adulte ne peut être complet ou ne peut être délaissé de certaines désillusions, notamment celui des limites corporelles, l’individu ne peut que chercher refuge dans l’art et la musique. Seuls champs apparemment sans limite.
C’est vers cela que se tourne Candle, un certain esprit transcendantal, encore naïf et juvénile, mais qui ne manque pas d’audace. A l’instar des nombreuses dissonances qui parcourront les sept minutes de « Beginning Blue ». On devine ici même les aspirations futures du groupe et qui emmèneront Carmine, leur projet à venir, vers des sentiers proche du kautrock et des nuisances sonores de Moonshake ou Pram. Cette recherche de la déstabilisation sonique s’accompagnera d’une nonchalance dans le chant qui marquera là, une volonté délibérée de se noyer dans sa propre musique, pour s’y étouffer (on retrouve aussi ces idées de claustrophobie corporelle dans les poèmes d’Isabelle) et déclencher ainsi l’exaltation. Cela est particulièrement flagrant lorsque le chant d’Isabelle, mutine, se répétera inlassablement, et que les guitares ne cesseront de jouer avec les coupures, avant qu’une déferlante de sons ne vienne conclure le morceaux.
Et ce recouvrement sonore, ce remplissage obsessionnel, ne tire sa source que du désir compulsif de s’astreindre de toutes règles formatées et de créer des courts-circuits dans le cerveau. Pour se déconnecter un court instant de son corps. En sachant très bien que l’entreprise sera inutile, tout au mieux éphémère.
Dès lors, de ce constat d’échec assumé, une certaine mélancolie s’installe et vient se lover au cœur de ce marasme désabusé, à l’instar de la voix d’Isabelle sur « Burning Blind », emphatique et d’une légèreté inégalable, qui s’immisce dans les entrelacements de guitares dissonantes et d’arpèges tristes et espacés. La lenteur de cette complainte élégiaque noisy prendra une ampleur telle qu’elle pincera le cœur. Là, au détour d’une voix, d’une harmonie d’accords de guitares, d’une superposition subtile, on pourra y trouver des motifs gracieux. L’évasion n’en sera que plus belle.

My Bloody Valentine : Glider


Glider de My Bloody Valentine

Sortie : 1990
Produit par My Bloody Valentine
Label : Creation


C’est à partir de ce maxi que My Bloody Valentine s’éloigne des codes shoegaze qu’ils avaient eux-mêmes inventés pour les dépasser et naviguer dans des contrées nouvelles, qui rejoignent beaucoup plus l’expérimental.
Les voix, habituellement perceptibles, ne deviennent plus que des vocalises fantomatiques, voire sont même carrément absentes, quitte à se confondre avec un instrument. Car c’est de cela dont il s’agit : renier jusqu’au bout son identité d’être humain pour s’éclipser, voire fusionner avec la musique, un peu à l’image de la pochette où deux individus sont en train de s’embrasser et d’échanger leurs personnalités.
Cette musique où tous les éléments finiront par fondre : les guitares qui dérapent constamment et glissent de manière incontrôlées (« Off your face »), la batterie qui devient robotique, le chant de Melinda Blutcher qui se muera en chant de sirène, les samples bizarroïdes, le tout liés par les saturations répétées et qui tourneront en boucle de manière incessante (le final entêtant et inoubliable de « Soon »). Mais cette volonté de s’effacer face à l’espace sonore envahissant, sorte de monde artificiel, qui prendrait la place de la réalité trop dure à supporter, obtiendra sans doute son apogée lors du morceau « Glider », condensé des délires les plus fous. Une incongruité : quasiment aucun riff mélodique de guitares, que des samples biscornus et dissonants, formant une espèce de nuage hypnotique.
En même temps extrêmement doux et romantique, pétrissant dans le même moule violence et mélancolie, l'atmosphère de My Bloody Valentine ressemble à une déflagration en douceur et au ralenti, à la traînée d’une comète.
On a l'impression que ces morceaux, ces plages de légèreté (la fausse ballade « Don’t ask why ») nous parlent directement, ont su se frayer un chemin jusqu'à notre coeur pour l'envelopper, lui insuffler un nouveau rythme de battement. Perdu au milieu des nuages, on ne s'est pourtant jamais senti aussi proche de nos propres sensations. On découvre notre sensibilité au fur et à mesure de nos réactions. Tout nous paraît beau, significatif, important, même la tristesse.

6 septembre 2007

Fiche artiste de Lush


Lush

La mort du batteur Chris Acland sera sans doute l'évènement le plus marquant de l'histoire du rock anglais des années 90 et beaucoup ne s'en remettront pas. A commencer par les filles Miki Berenyi et Emma Anderson, ses amies au sein de Lush, groupe culte du shoegaze qui mit fin à sa carrière brutalement en 1997.