30 avril 2007

Fiche artiste de Majesty Crush


Majesty Crush

J'ai une tendresse toute particulière pour ce groupe. Est-ce pour sa musique si sensuelle à l'époque où on n'avait de yeux que pour le hardcore ou le grunge ? Est-ce parce qu'ils ont manqué de chances ? Est-ce pour la personnalité dérangée et hors du commun de leur leader David Stroughter ? Impossible à dire. Mais c'est l'exemple type du groupe culte.



Majesty Crush : Fan EP


Fan EP de Majesty Crush

Sortie : 1992
Produit par Mike E Clark et Dave Fenny
Label : Dali


Dès leur premier single, Majesty Crush frappe un grand coup. D’une part parce que leur musique se place directement à l’opposé du son made in US, au risque de se saborder eux-mêmes, et d’autre part en livrant des singles dont les sujets choqueront le microcosme de Detroit comme un pied de nez absolument jouissif, porté à la bienséance américaine.
Bien que l’apparence douceur et onirisme des chansons peuvent charmer l’auditeur, celui-ci se révèle vite ulcéré, voire fasciné selon le degré de perversité de celui-ci, par les textes, portant sur la filature et la persécution (« N°1 fan »), la prostitution (le relaxant « Sunny Pie »), et l’héroïne (« Horse »).
Malgré un son brouillon peu enclin à donner l’étendu de la magnificence des morceaux, on retrouve dès ce maxi, ce qui fera le charme des productions suivantes. Une sensibilité particulièrement originale se dégage de l’ambiance générale, distillant tout du long une poésie moderne, sombre, intelligente comme mordante et cynique. Bien que les guitares de Michael Segal, qui se contentent de draper le tout d’un nuage de saturations très légères et presque fondantes, et le chant de David Stroughter, tout en souffle et respiration amplifiée de manière presque lyrique, montrent très clairement l’obédience shoegaze qu’a choisit le groupe, à ses risques et périls, on dénote tout de même une dynamique proche de la pop américaine, notamment au regard de la section rythmique, composée de O’dell Nails III et Hobey Echlin, qui apporte un cachet groovy et intense aux chansons.
Ce qui rend Majesty Crush si unique, si attachant, c'est ce décalage qu'on va retrouver partout, ce côté borderline, prêt à surgir. David Stroughter n'a sans doute pas toute sa raison. On le devine dans sa façon de chanter, qui systématiquement va s'appuyer sur un souffle érotique, comme s'il sortait d'une nuit passée en compagnie d'une ou plusieurs groupies, ce qui était probablement le cas. L'exagération est de mise, conférant beaucoup de chaleur, d'intimité aux morceaux, de rondeurs et de galbes. La basse de "Penny for love" est à l'origine de la légereté du morceau, sur laquelle pourront venir se greffer des guitares aériennes ou des chants enflammés. Sur "Worri", c'est un brouillage de saturations qui ouvre ce titre, presque ambient, très chaloupé, et qui va le traverser au grès des humeurs, câline ou tempétueuse.
L’ensemble sonne autant délicat que puissant, et reflète assez bien la caractéristique du groupe, jouant des nuances, et des impressions qu’elle peut laisser, surfant ainsi avec autant de facilité sur la sphère romantique, que sur la sphère provocatrice. Démarrant doucement, "Horse" accueille un éclat langoureux, qui se laisse aller, s'épanche presque de manière impudique, et soulève jusqu'à un déluge de guitares qui fera tourner les têtes.
C’est ce refus de trancher, et ce second degré irrésistible, qui rendra sa musique si splendidement particulière.

Majesty Crush : Love 15


Love 15 de Majesty Crush

Indispensable !

Sortie en : 1993
Produit par Micheal et Andrew Nehra, Dave Fenny et Mike E Clark
Label : Dali

Sans doute est-ce la poisse qui est à l'origine de la faillite de Majesty Crush. Ou peut-être un mauvais sens de la gestion. Ou tout simplement une inadéquation totale avec le style de son époque.
Le guitariste Mickeal Segal le dira lui-même: comment s'imposer face au grunge ? Et qui plus est en étant basé à Detroit dans le Michigan, qualifié ‘d'anus de l'univers' ? Pas évident donc. Surtout quand on a à sa tête un personnage haut en couleur comme David Stroughter. Obsédé sexuel notoire (on se souvient de son single "Cicciolina" tout simplement dédié à l'actrice de X italienne), ce chanteur charismatique et quelque peu fêlé aura donné un ton particulièrement déroutant et savoureux à la musique de son groupe, devenu sur la foi d'un seul album et à la suite de nombreux concerts, absolument culte pour les initiés. Mais ses textes sulfureux, ses allusions continuelles pour la pornographie ou les joueuses de tennis, ses discours énigmatiques n'auront pas contribué à faire dépasser l'aura du groupe au-delà des radios locales.
Il faut dire aussi que la musique du combo américain n'a pas aidé: trop aérienne, profonde, lumineuse et intense pour accrocher les radios FM. Pourtant le groupe sait trouver des mélodies enchanteresses à partir de deux ou trois accords cristallins posés là comme des ambiances. La rythmique du bassiste Hobey Echlin et du batteur Odell Nails III (tout deux ex-Spahn Ranch) est étonnamment puissante, tandis que la guitare de Mickeal Segal couvre le tout d'un nuage ombrageux et lyrique de saturations. Majesty Crush fut un des rares groupes à prolonger et à s'inspirer des grâces du courant shoegaze et c'est aussi une des raisons de son manque de notoriété. Trop évasives, trop sensuelles, les chansons n'ont su trouver un écho, alors qu'elles sonnaient de manière magistrale, entre rêverie et déluge fracassant.
Tout d'abord les compositions, toutes magnifiques, très riches mélodiquement et où la douceur s'allie à merveille au son noisy-pop, basse et guitares saturées en avant, sont de vrais moments de bonheur planant.
Ça commence fort sur « Boyfriend » avec un bruit fort et un roulement de batterie, avant de tout à coup subir une décompression subite qui fait tourner la tête, comme lorsqu’on descend brusquement après une montagne russe. Ici la basse joue un rôle prédominant puisque c’est d’elle que vient cette ambiance d’apesanteur. La voix rentre, d’un souffle chargé d’intensité, comme à la suite d’un effort physique, ou dans la confidence au lit, après une nuit passée à faire l’amour. Et ce qui est d’autant plus pervers que les textes portent sur la torture du petit copain d’une fille. Charmant.
On a du mal à le croire avec cette ambiance aérienne et rêveuse, mais le discours énoncé est particulièrement subversif. Il faut absolument se concentrer sur les paroles, le « I’ll kill the President for your love » ne pouvant laisser de marbre.
Les morceaux sont tous magnifiques, puissants et évocateurs, à l’instar de « Uma » ou « Penny for love », et certains s’évadent jusqu’à des sommets de poésie hypnotique, chargé de brume psychédélique, comme « Seles ». Lorsque l’intensité est à son comble, il faut presque retenir son souffle, et les titres prennent alors une dimension épique, « Grow » par exemple. Pas à un seul moment l’intensité ne retombe, et l’on reste sidéré par tant de qualité de bout en bout, qui nous emmène jusqu’à un final, « Horse », quasiment orgasmique, avec ses petites touches de piano qui bercent un passage atmosphérique et planant, coupant un mur du son rempli de guitares, absolument décoiffant, avant de s’achever sur la déliquescence la plus cristalline.
Love 15 est une œuvre magistrale qu’il faut immédiatement découvrir et dont on s’attache comme d’un coup de foudre. Marquant et inoubliable. On revient sans arrêt vers cette écoute, pour le plaisir qu’elle procure, mais pour cet univers attachant lié au groupe, sans doute mésestimé ou jouant de malchance, et dont l’authenticité nous rapproche et nous attache en un lien unique.
Le climat de l’album, et ses nappes de guitares, son tempo viril et sa poésie à double sens, envoûte et sidère à la fois. Rien que ça justifie que cet album soit toujours un peu à part, parmi les œuvres chouchoutées et défendues parce qu’elles ne sont pas connues.
Et puis la voix de David Strougher vaut vraiment le détour: à peine soufflée, murmurée, suave, elle apporte une touche incroyablement sensuelle, voire sexuelle (en référence à des titres évocateurs comme "Cicciolina", le nom de leur label "Vulva" ou les pochettes de leur album) aux morceaux, tous moites et chargés de tensions charnelles. Son chant d’amant marque les mémoires, on n’avait jamais chanté tout en étant aussi lubrique. Et jamais le shoegazing n'avait flirté de si près avec des domaines avant tout physiques et matérialistes, comme le sexe ou les jolies filles. Le romantisme évasif des chansons se perd dans les fantasmes latents et subversifs (avec une certaine fixation perverse pour les joueuses de tennis, Cf : les chansons "Seles" ou "n#1 fan" et son intro à la basse extraordinaire), rêvés par le charismatique et dérangé chanteur du groupe.
Love 15 est une bulle géniale d'évasion allumée où il est bon de s'abandonner sans retenue.

Majesty Crush : Sans Muscles EP


Sans Muscles EP de Majesty Crush

Sortie : 1994
Produit par Mikael Nehra
Label : Vulva

Après l'échec commercial et le flop financier de leur label Dali Records, le groupe a du se réfugier chez Vulva (encore un nom tendancieux, surtout associé à son logo, un coquillage dont les plis columellaires évoquent des lèvres), histoire de ne pas sombrer. La bande de Detroit y signera le maxi Sans Muscles, où il reprendront le titre "Uma" (dédié à Uma Thurman), issus de leur album Love 15, mais paru sous le nom "Bestower Of Blessing", à cause des droits. On ne peut pas dire que le groupe ait eu beaucoup de chance. Et ce ne fut pas ce maxi qui sauva les meubles.

Pourtant les titres y sont tous ici excellents, énergiques et grandioses, à l'instar de "Seine" ou du hit "If JFA Were Still Together", qui part du principe que JFA n'est pas un groupe hardcore mais une branche armée chargée de protéger les actrices de John Hinckley, comme Jodie Foster. C'est clair, David Stroughter a toujours navigué dans ses délires et autres fantasmes, le décalant toujours d'un cran par rapport à la normalité. Ce pur génie frappadingue a su rendre ses chansons particulièrement prenantes, basant son chant sur le tempo, groovy lors des passages lascifs, rayonnant lors des refrains éclatants. Ses paroles sont de vrais textes farfelus et remplis de sous-entendu, s'accommodant des renversements de climat des chansons, basculant d'une ambiance calme à une tempête de guitares."Space Between Your Moles" est un titre assez confondant, complètement relâché et contemplatif, typique du style shoegaze, au cours du quel la voix de David Stroughter se fait complètement douce, éthérée, prolongeant toujours son souffle, derrière des nappes de saturations hypnotiques.

Majesty Crush n'a jamais su calquer son style sur les modes de son époque et de sa nation, mais il aura réussi comme aucun autre à rendre ses chansons intenses et émotionnelles. "Ghost Of Fun", à l'intro cosmique où rentre une basse ronde et chaude avant que des guitares n'explosent comme des déflagrations d'étoiles, sert d'écrin idéal au chant de David Stroughter, susurrant, voilé, soupirant, comme s'il gémissait en faisant l'amour. De temps à autre le ton s'assombrit pendant une décharge de saturations et d'adrénalines. Mais il revient toujours vers celui de l'évasion et de l'ensorcellement.

David Stroughter émerveille parce qu'il emmène loin, très loin, l'auditeur dans des virées psychédéliques. Peut-être est-ce la faute aussi à son rapport avec la drogue, qui a coulé Majesty Crush. Qui sait ? David Stroughter est un artiste perturbé, très difficile à suivre. Les membres ont tous fini par quitter l'aventure. Et Sans Muscles restera le dernier témoignage du combo.

29 avril 2007

Fiche artiste de Curve



Curve

Curve, c'est surtout la rencontre entre le guitariste et bidouilleur Dean Garcia et la chanteuse Toni Holliday.
Selon les propres termes de Dean Garcia, leur musique se veut un mix improbable entre "dance, rock et dark", mais leur utilisation en couches superposées des samples, et la voix envoutante de Toni allaient les faire partager le mouvement shoegaze.
Mais leur shoegaze robotique les confinera au statut de culte.
Le salut viendra d'une chanson, "Chinese Burn", brûlot incroyable electro, qui fut utilisé par Sony pour la publicité du mini-disc, qui fit le tour du monde. Toujours aussi à la pointe de la technique du son, les albums "Come clear" ou "Gift" seront l'occasion de collaborer avec Alan Moulder ou Kevin Shield. La nouvelle carrière de Curve peut donc se poursuivre sous de nouveaux auspices.

Extrait vidéo : Faît Accompli

Curve : Pubic Fruit


Pubic Fruit de Curve
Sortie : 1992
Produit par Flood et Alan Moulder
Label : Charisma


Cette compilation reprend dans l’ordre chronologique la sortie des trois incroyables singles sortis par le groupe en 1991, démonstration de l’usage des techniques les plus récentes du sampling, des tables de mixages, des boites à rythme et des effets de saturations sur les guitares. Mais réduire le groupe à un travail de producteur, aussi impressionnant soit-il, serait occulter le charme obscur que dégage le groupe. 
Jouant sur le mid-tempo, Curve se base avant tout sur un rythme indolent, artificiel, hérité de la dance de l’époque (« No escape from heaven »). Et par-dessus tout cela des guitares tissent des toiles d’araignées, se déversent comme du métal fondue dans une aciérie, lancent des cris stridents dans le loin. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’ambiance est loin d’être flamboyante. Au contraire, dans cette façon de se complaire dans l’abject (« The colour hurts »), Curve se fait pervers. Toni Halliday n’hésite pas à secouer l’auditeur par un phrasé rap, qui va se mêler à des roucoulements, voire des aboiements (« Ten Little Girls »), à d’autres moments les saturations emportent tout en un cyclone (« Die like a dog »).
Car là où réside tout le charme du duo, c’est dans ce cap fixé : rester coute que coute, malgré les tempêtes de guitares, malgré la noirceur, malgré le bordel régnant, d’une beauté froide absolue.  
Le chant de Toni Halliday va alors se faire séducteur, aérien, féérique comme sur « Frozen » ou « Clipped ». Des sonorités orientales vont s’immiscer, à la limite de la tension sexuelle (« I speak you every word »), vite plombées par un riff de guitare des plus tranchants. Curve a créé un monde de toute pièce, qui se cale parfaitement avec son époque, ses invasions informatiques, la robotique qui commence tout juste à se déployer, la mélancolie qui gangrène chaque progression citadine.

On ressort de là particulièrement troublé.

Curve : Dopplergänger


Dopplergänger de Curve

Indispensable !

Sortie : 1992
Produit par Flood et Alan Moulder
Label : Anxious
Doppelgänger ; rien que le nom fait peur. Encore plus dense, plus rapide et plus ramassé que les singles précédents, cet album est le chef d’œuvre de Curve. La manifestation ultime des rêves tourmentés de ses deux auteurs. Impossible de s’extraire de cette déferlante de beats électro, de guitares à satiété, de pulsations tapageuses, de secousses telluriques, de samples biscornus, de tempo ultra-rapide et de langueur shoegaze. Ce choc artistique vrille les oreilles autant qu’il subjugue.
Car, avant tout, il y a un travail sur la production et la qualité du son qui sont tout bonnement phénoménaux pour l’époque. Chaque détail est travaillé avec une minutie proche de la pathologie. Il est incroyable de voir assembler autant d’éléments au sein d’une chanson au risque de créer la surcharge. Leur traitement est tellement comprimé qu’on finit déboussolé et subjugué. 
Le groupe dégage un tel charisme ! Il semble que Dean Garcia sache parfaitement ce qu’il veut imposer comme univers et Toni Halliday assume ce chaos ambiant autour d’elle, jouant des refrains provocateurs, comme sur leur single (« Fait accompli »). Les miaulements sauvages et déformés, écrasés par des riffs méchants, sur le final de « Split into fractions », dont le massacre ne semble jamais s’achever, impressionnent par leur assurance. Si les titres sont maniérés et inouïs de rectitude, l’ambiance dépeinte reste noire et tordue. « Lillies dying » se drape ainsi d’une majesté étrange car entièrement façonnée par un ramassis étourdissant. 
Malgré le côté synthétique évident et le rythme très poussé, cet album reste une déclaration d’amour pour les guitares, toujours mises à l’honneur et très présentes. (« Wish you dead »). Ce sont de bruits industriels qu’émergent des riffs féériques hérités de la dream-pop (« Think & act ») et ce sont eux qui contrebalancent le côté planant (« Doppelgänger »). 
La voix de Toni Halliday est magique, à la fois gravement solennelle, presque digne d’une sorcière gothique, à la fois aérienne et féline. Elle apporte une touche de glamour indéniable à ce fracas ardent et ces martèlements écrasants. Son chant angélique déboule sans crier gare du tourbillon electro-indus qu’est l’énergique « Already yours » et le morceau se drape alors d’une splendeur rutilante. Ses petits hoquets haletants sur « Horror Head » sont à tomber à genoux. Sur ce morceau, probablement un des meilleurs titres de Curve, Toni Halliday se fait prêtresse, et on ne sait plus si elle appartient au domaine de la réalité, tant la douceur de sa voix détonne au milieu de ces saturations artificielles.

Swervedriver : Ejector Seat Reservation



Ejector Seat Reservation de Swervedriver

Coup de coeur !


Sortie : 1995
Produit par Alan Moulder
Label : Creation

En s'échappant du carcan du shoegaze, duquel il garde pourtant un goût prononcé pour l'empilement de guitares, le groupe d'Adam Franklin explore de nouveaux horizons et livre de grandes chansons richement travaillées et surprenantes. 
L’album s’ouvre en crescendo, comme une musique de film, violons, corde de guitare à peine grattée, maracas, trompette mexicaine, saxo et autres instruments en cuivre, puis c’est parti, un rythme indolent, d’une coolitude impressionnante, et les guitares déboulent pour un refrain génial (« Bring me the head of the fortune teller »), avant de s’épancher en un maelström addictif. Ça enchaine avec « Other Jesus », sa basse grunge, sa morgue éhontée, sa disto féérique, son groove imparable. Et tous les autres titres sont du même acabit. On ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. On se dit que c’est au moment où Swervedriver intéressait le moins de gens qu’il s’est révélé justement le plus intéressant.
Il n’y a pas un morceau qui n’ait pas sa petite trouvaille, son petit riff qui tue ou sa mélodie astucieuse. L’album se distingue par l'abondance d'arrangements, violons, parfois trompettes, l'apparition de petites mélodies parsemées ici et là, de voix trafiquées par vibraphone, de cithares orientales ; tout en restant  incroyablement cohérent. Sur « Bubbling Up » le ton n'hésite pas à ralentir et à devenir plus planant au cours d'un air indolent et prodigieux à la guitare sèche et tambourins. « How does it feel to look like candy ? » alterne tempête retentissante et surélévation aérienne. Enfin « Son of Jaguar ‘’E’’ » est une extase psychotrope, traversé d’éclairs noisy.
Avec ce troisième album, le groupe gagne en maturité et son talent va s'exprimer à sa juste mesure à travers de grandes chansons remarquables et extraordinaires. « Last Day On Earth » est d'une sensibilité exquise, elle suffit à elle seule à créer une euphorie sophistiquée et classieuse, dévergondée à souhait. Sa basse, sa guitare folk, son chant déchirant, ses nappes de guitares aux riffs soignés et surtout ce refrain si émouvant, noyé de violons. Ces jeunes garçons au chic insolent pouvaient tout se permettre. 

Même des chansons cachées, comme les adorables « Plan 7 star satellite 0 », expérimental, et « Flaming Hart », moite, langoureux, un vrai blues ! Des surprises pour prolonger le plaisir…

28 avril 2007

Fiche artiste de Adorable


Adorable

C'est à Coventry que se forme Adorable en 1991, groupe qui rassemble en son sein Piotr Fijalkowski (voix, guitare), Robert Dillam (guitare), Stephen ‘Wil’ Williams (basse), et Kevin Gritton (batterie). A force d’interviews gonflés et de certaines déclarations provoquantes, Adorable passe pour arrogant, et aussitôt les journalistes les associent à Suede ou Verve, ce qui leur convient tout à fait, Piotr faisant de vains efforts pour se détacher de la scène shoegaze qui semblait s’essouffler. Sauf que les guitares bien trop bruyantes les trahissent. Le guitariste Robert Dilian le reconnait : « A l’époque, on n’a pas été vraiment étiqueté shoegaze car le pic était en 1991 et déjà en 1992, ce n’était plus à la mode. Mais je suis content d’être vu aujourd’hui comme musicien shoegaze parce que c’est une musique que j’aime, même si Adorable ne s’est pas formé pour être shoegaze. Le son shoegaze a des éléments spécifiques et on n’en partage que quelques-uns. Je suis content que les gens écoutent encore la musique qu’a faite Adorable, et si les gens accèdent à nous par l’intermédiaire de Creation, Ride, Slowdive, Telescopes, alors ça me va. »[i] Hélas, le groupe ne sera jamais considéré correctement par leur label, les enfonçant encore plus. Dès le départ d’ailleurs, avec leur première rencontre avec Alan McGee dans un pub au centre de Coventry en janvier 1992, les rapports marquent de la défiance. Piotr raconte : « Après deux pintes de bières, l’ambiance commence à devenir plutôt chaude lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait lâché My Bloody Valentine. McGee a comparé sa relation avec My Bloody Valentine à celle d’un couple, mais il n’a pas pu avouer en face de Kevin Shield qu’il ne resterait plus au sein de Creation. J’ai fait promettre à Alan McGee que le jour où il virera Adorable du label, il aura au moins les couilles de nous le dire en face. »[ii] A croire qu’il avait deviné que l’esprit de Creation Records était en train de s’évaporer peu à peu…
Pourtant tout démarre bien : « Les débuts étaient pourtant prometteurs, avec notre « Sunshine Smile » qui a été élu single of the week par le NME, beaucoup de diffusions sur Radio 1, numéro 1 des charts indé, et plusieurs semaines dans le top 100 des ventes nationales. Mais si on avait eu une boule de cristal, on aurait pu voir que c’était en fait notre paroxysme et qu’on ne fera que descendre par la suite. »[iii] Leur premier album sorti en 1993 sur Creation, Against Perfection, est un vrai bijou. Les morceaux sont d’une incroyable puissance, joués à un rythme alternant passages chaloupés et explosions ahurissantes. Il fait figure d’essentiel dans toute discographie idéale.
Ceci dit les gens ne s’en apercevront même pas. « On avait l’impression d’avoir fait avec Against Perfection un album  assez bon pour qu’on puisse en être fier mais apparemment ce n’était pas suffisant. La presse anglaise était au mieux indifférente. On n’a plus eu aucune interview au NME ou Melody Maker depuis notre premier single. »[iv]  Les dirigeants de Creation n’adhèrent pas suffisamment, se contentant de ne scruter que les chiffres de vente, et ne font pas grand-chose pour promouvoir le groupe, notamment aux Etats-Unis. Le groupe tente de se relancer désespérément avec un deuxième album dans la foulée. Un flop : « Ce qu’on avait à faire, c’est écrire un album qui attrape tout le monde par le col, les entraine dans une ruelle sombre et leur file une sacrée raclée, une baffe qui marque pendant des jours. Au lieu de ça, on a fait « Fake »… »[v] Un opus plutôt moyen, où on ne retrouve plus la fougue des débuts, mais des chansons davantage calculées, aux mélodies lissées et aux accents revanchards. Pete commente : « « Fake » est un album fragile, borné et paranoïaque, reflétant l’esprit de quatre garçons qui pensaient que le monde entier était contre eux. »[vi] Pour les patrons de Creation, ce sera évidemment l’album de trop et l’inévitable va finir par se produire, ils seront jetés dehors comme des malpropres, pendant que les groupes de Brit-Pop, auxquels ils cherchaient à se rapprocher, vont rafler la mise à leur place. Piotr Fijalkowski se lamente : « peut-être qu’on a existé à la mauvaise époque : environ deux ou trois années en arrière et on aurait été affilié à The House of Love, trois ans plus tard et on aurait été aux basques de la Brit-Pop » [vii].  Mauvais timing



[i] Interview de Robert Dilian par Estella Rosa, sur Step On Magazine, 5 juin 2015, [en ligne] http://steponmagazine.com/our-favourite-fallen-idols-we-talk-to-adorables-pete-fij-and-robert-dillam/
[ii] Biographie d’Adorable par Pete Fijalkowski lui-même, sur Creation Records, janvier 2001, [en ligne] http://www.creation-records.com/interviews/adorable/
[iii] Idem
[iv] Idem
[v] Idem
[vi] Idem
[vii]  Interview de Piotr Fijalkowski par Creation Records, Adorable, [en ligne] http://www.creation-records.com/interviews/adorable/

Extrait vidéo : Sunshine Smile

Adorable : Against Perfection


Against Perfection de Adorable

Coup de coeur !

Sortie : 1993
Produit par Pat Collier
Label : Creation

Que dire de cet album hormis qu'il est quasi-parfait ?
Chacune des chansons est un bijou de noisy-pop à la classe impeccable. Les guitares sont acérées, le bassiste joue avec une morgue digne des plus grands, le chanteur (à l'accent polonais inimitable) fait vivre les compositions tour à tour romantiques ou déchaînées. Pas une ombre de fléchissement.
Impossible de trouver la moindre faute de goût, tant l'ensemble est soigné, élégant et furieusement rock. Les riffs d'intro ou les mélodies sont bien plus riches sur ce disque qu'au cours d'une œuvre entière d'un groupe dit "réputé". L'intensité est saisissante. On est littéralement scotché dès « Glorious ». A partir de vagues distorsions jaillit une basse élastique prenante puis un riff énorme sertis de pierres précieuses. Au milieu de ce maelström, la voix de Piotr dompte les éléments, mugit et force son accent polonais si singulier. C’est une claque. Pas étonnant que Oasis ait déclaré avoir été profondément influencé par Adorable. Le reste des titres est du même acabit, à tel point qu’on croirait un best-of. Des riffs mortels à 100% (« Favourite Fallen Idol » ou « Crash Sight ») ou à l’inverse d’une surprenante tendresse (« I know you too well »), on manipule ici aussi bien l’élégance que les démonstrations de morgue. 
Les hurlements crescendo de Piotr Fijalkowski sur le single « Homeboy » (produit par le légendaire Alan Moulder) font frémir, de même que les vocalises arrachées de « Sistine Chapel Ceiling ». Piotr impose une personnalité qu’on a rarement entendue dans le shoegaze et joue des coudes.  Mais le maître mot reste tout de même la distinction et la classe, qui prennent toute leur pleine mesure au cours de « Breathless », qui conclut magistralement, ce qui peut être considéré comme une vraie réussite. 
On n'a rarement entendu un shoegaze aussi énergique et fier de ce qu'il fait.

Moose : Honey Bee


Honey Bee de Moose

Indispensable !

Sortie : 1993
Produit par Lincoln Fong

Label : Play It Again Sam

Quitte à s’inventer un monde, quitte à s’éloigner des modes, quitte à perdre, autant le faire avec panache. Moose abandonne complètement les saturations, bonjour les guitares sèches, c’est quelques raies de soleil qui viennent réchauffer les plaies encore ouvertes de ces musiciens si meurtris. Cet album ne bénéficie pas des mêmes moyens de production que les précédents, pourtant le groupe n’a jamais aussi bien joué. On les sent libérés et assumant à plein leur mélancolie pour la rendre si anachronique et si touchante.
On trouve de tout sur cet album complètement maniéré : de la folie, une envie de sortir hors des sentiers battus, de la douceur, de la nonchalance, une certaine forme de magnificence, et surtout un talent incroyable. Beaucoup plus vivant que le précédent, on se laisse emporter par ces délicates bourrasques comme sur le single « I wanted to see you to see if I wanted you », son rythme dansant, sa guitare sèche et ses violons, ou par ces nappes magiques qui recouvrent « Around the warm bend ». Le chant est pourtant toujours aussi mielleux, tout dans le souffle et la préciosité. Les chœurs suaves dialoguent et glissent sur les accords.
De bout en bout de ce deuxième album, on a souvent l'impression d'être hors du temps. Les mélodies, nombreuses, superbes et raffinées, sonnent comme si elles sortaient d'un monde nouveau, onirique et irréel. Un monde où tout serait permis, où le merveilleux aurait sa place et où le rêve serait affaire quotidienne. Les guitares sèches et les percussions ultra-rapides sur « Uptown Invisible » dénotent complètement avec l’extrême délicatesse du chant, une flûte fait une délicate intervention sur la ballade « Mondo Came », gagné progressivement par le spleen, sur le festival « Meringue », ce sont des tambourins, une basse en avant ou un xylophone sur l’étourdissant ; ailleurs c'est violon et piano, comme sur le lent et triste « Joe Courtney ». Les arrangements sont autant discrets que splendides. Ça fourmille d'idées et d'inventions. 
Chez Moose, la musique est un refuge, un havre féerique où il est bon d'y fuir. Une odyssée sous forme de mini-ballet musical. La voix grave, reposée et éthérée de Russel Yates nous enchante tout du long et apporte la légèreté nécessaire à un transport aérien. Ce n'est pas une sensation qui nous submerge mais bien plusieurs. On est autant gagné par une sensation d’apesanteur que par une tristesse infinie qui serre le cœur. Les petits slides qui descendent la gamme, en mode mineur, les petites caresses, la petite flûte sur « You don’t listen » hypnotise, avant que l’introduction ne s’ouvre sur une deuxième partie éclatante de beauté, avec guitares spatiales, guitare sèche, et un chant berçant, doublé de chœur féminin, avant d’oser même un entrain plus souriant de temps à autres, mais d’insister bien-sûr sur une extrême délicatesse.
C’est troublant car un peu couleur sépia, désuet pour l’époque, mais c’est tellement subtil, qu’on se prend à adhérer complètement à cette finesse d’orfèvre. Russell Yates est si détaché, Kevin McKillop n’a jamais été si proche de la pop-song parfaite et les frères Song, à la section rythmique, jouent avec un appoint. C’en est presque un déchirement car on sait à tel point, ce genre d’album, c’est se suicider commercialement, mais c’est aussi la gage d’offrir ne serait-ce qu’une fois une pop délicate et guindée, qu’il faut la conserver et la choyer.
 Et puis il y a l’indépassable « Dress You The Same », son sifflement, sa basse, sa guitare lunaire, ses slides ésotériques, sa voix affrétée, qui renverse tout et laisse place à une volupté splendide. C'est carrément une montée au ciel qu'on effectue. « Hold On » conclut l'album comme un atterrissage en douceur, mais on se demande bien si on a les pieds sur terre à nouveau. Et on se dit que Moose a signé là une musique absolument unique, totalement libre, pour l’éternité.

Moose : ...XYZ


...XYZ de Moose

Sortie : 1992
Produit par Mitch Healer

Label : Hut

Souvent cité comme référence, car ayant reçu de bonnes critiques de la part de la presse anglaise comme NME, …XYZ de Moose, sorti en 1992, est une ode à la flânerie et à la contemplation. Kevin Mc Killop, songwriter révélé, indique ici qu'il souhaite mélanger des genres, ralentir le tempo et étaler son spleen de façon originale et presque fantasque. Les titres, chantés d'une voix grave, aspirée et suave, sont de purs moments étirés et étendus de rêverie. « Sometimes loving is the hardest thing » démarre à la guitare sèche, avant de longues plaintes de guitares et des violons. Puis elle se termine par un orage, un mur du son et des distorsions. On voyage.
On reconnait même des influences sixties ou folk très marqué, une hérésie pour du shoegaze. Ainsi sur « Don’t bring me down », on a toujours les saturations classique, mais avec un rythme country, et des riffs façon western, des voix douces, légèrement teintées de tristesse. Et « Every’s talking » une ballade plaintive, à base de tambourins, de caisses frottées à la baguette balais, de guitares claires, de distorsions, chanté façon crooner américain. Cet album est en fait un objet totalement incongru. Moose s’abstrait de toute influence de son époque et délivre une musique, poétique mais très mélancolique, assurément hors du temps. Une vraie bulle totalement étanche. Pour preuve, « I’ll see you in my dreams », si étonnant, car on dirait une valse lente, avec ses violons, son influence italienne et son romantisme fleur bleu. On dirait une bande-son d’un film des années 50.
Pour arriver à ce charme légèrement suranné, Moose a complexifié ses arrangements et ne se contentent plus de longues plages de saturation. Les jeux à la batterie et à la basse se sont nettement améliorés. Moose ne se refuse rien et s'offre une orchestration de haute volée. Les violons, cordes, harmonica, guitares sèches, remplissent une palette grandiose et bucolique. Moose joue les filles de l’air, devient plus léger, plus sévère aussi dans sa musique, on perçoit quelques flâneries, des sifflements de contentement, des rebonds à la guitare, tout en conservant ce cher cynisme dans les textes. « The wishling song » démarre ainsi en sifflotant avant de muer en une ambiance plus sombre, plus trouble, puis de reprendre sur un ton plutôt entrainant, et d’enchaîner ainsi les entre-deux. Moose indique vouloir toujours jouer sur les ambivalences. « Little Bird » et ses violons, « Polly » et son harmonica, ou « Soon is never soon enough » et son piano de saloon, sont des chansons superbes d’entrain et d’insouciance en apparence, mais elles ont bien du mal à cacher leur désarroi.
Les paroles alternent entre sentiment de bonheur intense et noirceur sentimentale, jouant sur le malentendu. Que dire des paroles terrifiantes de « Friends » : ‘’now, i’m alone, nobody’s home. I’m talking to myself’’, débitées par une voix de droopy, sur un rythme pataud ? Un crève-cœur. Une tristesse renforcé par les légers chœurs en arrière-plan, le solo à la guitare sèche façon folk, et toujours les saturations au loin.
Les arpèges de ce premier album sont contagieux et nous emportent au loin, à l’image du morceau éponyme de conclusion, qui est d’ailleurs totalement un folk-country, avant de se terminer dans une grande torpeur, avec des réminiscences de mélodies, pourtant enchanteresses mais vaguement désenchantées en elles-mêmes.