7 janvier 2008

Springhouse : Postcards from the arctic


Postcards from the arctic de Springhouse
Sortie : 1993
Produit par : Joe Chicharelli
Label : Caroline


Après un premier album prometteur mais qui n’allait peut-être pas au bout de son ambition, le trio, Jack Rabid, Mitch Friedland, Larry Heinemann, choisissent de durcir leur son. Puissants et volumineux, les morceaux forcent le trait, afin de coller au plus près aux véritables aspirations de ces hommes, d’une grande sensibilité. « Le thème principal de l’album traite de l’âpreté de la vie à New-York, explique Jack (c’est lui qui chante sur la ballade semi-acoustique « Time to go »), l’arctique est une métaphore à propos du désert sentimental que peut représenter une ville comme New York »[i]. Ainsi, des titres comme « Alley Park », « Ghost », « The Light », prennent le temps de se poser doucement, de développer ses nuages de mélancolie et de finesse, tout juste traversés d’arpèges délicieux et d’un chant affrété, avant qu’une véritable tempête sonore ne vienne éclater sourdement en un tonnerre saturé et un grondement de caisses (le jeu de Jack à la batterie fait des prouesses sur cet album). Les airs prennent sous ce nouveau souffle une envergure impressionnante et s’élèvent, poussés par les agitations, vers une majesté tempétueuse, tant pis pour le chant un peu forcé parfois.

Bien que commençant par des arpèges fabuleux, « Asphalt Angels » s’élève dès lors que la batterie se fait plus insistante et que les guitares saturées rentrent en scène. Le groupe y lâche toute sa frustration. C’est que les membres se sentent piégés à New York, une ville qu’ils connaissent par cœur, mais qui leur donne aussi l’impression de les étouffer. Jack a des rêves d’évasion : « On aimerait un jour pouvoir partir sur la route en tournée et y rester pour toujours »[ii]. La seule fois où leur label Caroline leur a proposé de partir en tournée en 1991 avec les Smashing Pumpkins, cela a été annulé au dernier moment. Jack en nourrit de l’amertume : « Toute cette scène alternative des années 90 n’était qu’une fumisterie. Ça a entravé la carrière de pas mal de groupes qui ne correspondaient pas au moule. (…) Les Smashing Pumpkins nous ont éjectés de leur tournée avant le premier concert parce que leur album avait explosé. On avait passé des semaines à planifier des arrangements, à obtenir que nos jobs soient conservés après la tournée, pour louer un van, et louer du matériel, et tout ça, et le jour avant la première date, ils nous virent sans nous prévenir. C’était une blague ! J’ai dit plus tard à Billy Corgan que je n’avais pas particulièrement apprécié, mais il ne semblait pas s’en soucier »[iii]. Face à ces concours de circonstances, le groupe livre sur cet album toute leur dureté à l’égard du monde et la confronte à leurs vœux romantiques.

La musique de Springhouse se fait alors très percutante, véritable tourbillon merveilleux, qui dévaste tout sur son passage à l’image de ces déferlantes de guitares, voire même de ces riffs coup de massue (« Enslave Me »). On les a assimilés au shoegaze anglais même si c’est surtout dû au hasard. Pour Mitch : « A cette époque, tous ces groupes commençaient à apparaître comme Lush et Slowdive, et on se disait : ‘’waou, on ressemble vachement à beaucoup de ces groupes’’. On a été étiqueté shoegaze mais ça n’était pas notre intention »[iv]. On se laisse éblouir par ce punch, cette conviction à jouer de l’avant, à assumer ce côté luxueux. Visiblement, et le groupe le reconnaît lui-même, cette nouvelle étape a été possible grâce à l’apport de leur nouveau producteur, Joe Chiccarelli, connu pour avoir signé le premier album Everclear d’American Music Club. « Il nous a apporté le son clair et brillant qu’il nous manquait sur notre premier opus »[v] reconnaît Mitch Friedland. Les quatre hommes se mettent d’accord : ne pas hésiter une seule seconde dans la surenchère. Le jeu de Mitch à la guitare sera alors soutenu par plus de saturation et les deux autres se mettront à son service, en se superposant à sa vigueur. Le guitariste raconte comme est venu ce son particulier : « Par accident, en utilisant une guitare acoustique et une pédale à distorsion. Je me souviens de Jack et moi qui nous rendions à un magasin de musique et on a pris une pédale à distorsion. Le vendeur a pointé ma guitare et m’a demandé : ‘’vous allez prendre ça pour votre guitare ? Ça craint !’’. On a commencé à rigoler mais quand on a essayé en studio, on a adoré le son que ça a fait »[vi].
Trop violent pour de la pop, trop doux pour du rock, la musique de Springhouse est une bulle à part, probablement le seul moyen pour les membres du groupe d’échapper aux contraintes d’une industrie musicale qu’ils jugent hypocrite. Jack Rabid admet ne pas faire comme tout le monde : « C’est sûr que comparé à la plupart des américains qui écoutent 90% d’albums américains et 10% d’albums anglais, nous, on est plutôt 50/50 »[vii]. De toute manière, ils ne se reconnaissent pas dans les groupes issus comme eux du sérail indépendant : « L’underground a été tellement élitiste pendant si longtemps que ça défend n’importe quoi plutôt que ce qui est vraiment bon. En ce sens, c’est désormais un désert parce que plus personne ne se souvient du peu qu’ils ont produits. Jouer dans un groupe ça serait contreproductif pour moi »[viii]. Mitch de surenchérir : « La première fois qu’émerge l’underground, c’est l’histoire en marche. La deuxième fois, c’est de la merde »[ix].
C’est donc passé sous des tonnes d’effets (c’est à peine si on distingue la mandoline et les violons sous les saturations du magnifique et poignant « Worthless ») que leurs poèmes se font les plus éloquents. Une sorte d’exutoire émotif (parfois Mitch semble y mettre toutes ses tripes, à défaut d’avoir une voix parfaitement assurée) pour démultiplier ses états d’âmes. Le single « All About Me » ou « Misjudgment » sont peut-être robustes, elles n’en demeurent pas moins des chansons qui explorent les amours perdus, l’enfance, les souvenirs et les doutes existentiels, bref toute une facette plus fragile, avec ces petites guitares sèches, ces chœurs doublées et ces mélodies enchanteresses. Springhouse met tout ce bouillonnement intérieur en musique, se libérant d’un certain musellement, presque jusqu’à déborder par maladresse.



[i] Jack Rabit cité par R. M. sur East Coast Rocker, 7 avril 1993, [en ligne] http://tripalot.com/springhouse/interviews/
[ii] Idem
[iii] Interview de Jack Rabit par Danny Lackey, sur When the sun hits, 9 décembre 2010, [en ligne] http://whenthesunhitsblog.blogspot.fr/2010/12/interview-conversation-with-jack-rabid.html
[iv] Interview de Mitch Friedland par John Clarkson sur Pennyblackmusic, 11 janvier 2009, [en ligne] http://www.pennyblackmusic.co.uk/MagSitePages/Article/4955/Springhouse
[v] Mitch Friendland cité par Kevin Linehand, sur Mixx Magazine, mai 1993, [en ligne] http://tripalot.com/springhouse/interviews/
[vi] Interview de Mitch Friedland par John Clarkson, op. cit.
[vii] Interview de Jack Rabid par John Clarkson, op. cit.
[viii] Jack Rabit cité par Joe S. Harrington, sur New Route Magazine, 1991, [en ligne] http://tripalot.com/springhouse/interviews/#new_route_magazine_1991
[ix] Mitch Friedland cité par Joe S. Harrington, op. cit.

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