20 février 2013

Lorelei : Everyone must touch the stove

Everyone must touch the stove de Lorelei

Date : 1995
Producteur : Geoff Turner
Label : Slumberland

Bien campés sur leur position, les membres de Lorelei se font les serviteurs d’une musique tendue, complexe, sans cesse sur le fil. Aspirant à une certaine forme de légèreté et de rêverie, notamment de par leur chant, un peu apprêtée, voire forcée, ils n’hésitent pourtant pas à sortir des sentiers battues, à grand renfort de basse et de coupures de rythmes. Les guitares saturées ne sont là que de temps à autre pour souligner des climax, mais l’univers du morceau, c’est avant tout la section rythmique qui l’assure (l’étonnant « Today’s shrug »). 
On est très loin de l’indolence habituelle du shoegaze, ici, on casse les habitudes, on s’intéresse aux décalages, aux arythmies, aux improvisations. Le génial « Quiet Staid Debt », sa basse en avant, sa batterie sortie de l’école de jazz, son petit piano, indique clairement l’influence math rock, tout en gardant un attrait pour la puissance du shoegaze, en témoigne l’irruption de tempête sonore. Lorelei passe pour des intellectuels. Ils souhaitent avant tout expérimenter, quitte à se perdre, comme sur « Throwaway », tout en bruit blanc et collage, ou le spécial « Day », avec son piano de saloon. Cet album préfigure ce que certains groupes américains allaient faire par la suite en terme d’essais et de curiosité. L’intro avec percussions sur « Inside the crimelab » qui est une répétition krautrock d’un même motif, avant qu’une voix trafiquée ne crache au milieu de grésillements, rappelle un groupe comme Tortoise. 
En dehors de ces moments un peu torturés, Lorelei s’offre aussi des escapades vers une féérie plein d’allant et de violence. La basse new wave, voire gothique, de « Newsprint » qu’on croirait sorti des années 80, est une ode à l’imagination. L’arrivée de multiples guitares comme savait le faire si bien Kitchens of Distinction est un pur régal. Les coupures et les passages dream-pop sont autant de chausse-trappe. Les chants n’hésitent pas à sur-jouer le côté langoureux, en soufflant et insistant sur les reprises de respiration. Quant au magnifique « Pillar », sa guitare sèche, puis ses inondations de saturations, ses chœurs doucereux, est un vrai régal shoegaze pour conclure l’album en toute beauté.
Au final, on reconnaîtra que Lorelei s’est refusé de se restreindre au cours de son premier essai. C’est certainement le groupe qui a le plus établi le lien entre le shoegaze anglais et le hardcore américain. Cela s’entend clairement sur « Stop what I you’re doing » ou le vrombissant « Thig for a leg », des vrais curiosités du genre.  

14 février 2013

Catherine : Sleepy EP

Sleepy EP de Catherine

Date : 1994
Producteur : Billy Corgan
Label : March Records

Billy Corgan a toujours été un fan de My Bloody Valentine (jetez un œil sur la superbe pochette de Pisces Iscariot pour vous en convaincre). Il était donc attendu que le génie de Chicago se soit un jour retrouvé à la production d’un groupe shoegaze. Celui-ci d’ailleurs est avant tout un groupe ami très proche. Il est de la même ville, il partage le même studio que les Smashing Pumpkins, il s’échange le même matériel et leur leader, le fantasque Kerry Brown, fut un temps marié avec D’Arcy.
Le résultat de cet échange de procédés est un EP assez surprenant pour les amateurs : il mélange le shoegaze et… le grunge ! La formule appliquée est assez simple, le couplet sera doucereux, magnifié par des pédales de distorsions et un chant suave, le refrain sera nerveux, agressif et lourd, dans la plus pure tradition du rock alternatif de l’époque nineties (« Sleep »). Evidemment, on sent l’influence des Smashing Pumpkins. Ce son inimitable sur « Idiot », cette batterie façon militaire qui fait penser aux coups de butoir de Jimmy Chamberlin sur « Cherub Rock » ou « Siva » (Kerry Brown est aussi batteur), cette basse souterraine, ces guitares qui fuzzent de manière saturée, ces coupures de rythme impromptues pour s’offrir des respirations romantiques, on ne s’y trompe pas, les deux formations ont du s’influencer l’une l’autre. 
Ce qui aboutit à un shoegaze qui regarde droit dans les yeux. Le son s’octroie une puissance décuplée (« Insect Tree »), s’offre un chant plus mordant et une énergie rageuse, mais autorise quelques douceurs également. Bien souvent les guitares sont magiques, le chant oscille entre langueur légère et sens de l’accroche, et le ton est lourd et chargé, ce qui donne lieu à des rêveries, de manière subtile, comme sur « It’s no lies », au tempo plus carré mais plus déterminé, cachant des références implicites à My Bloody Valentine ou Bailter Space.
Un premier EP à écouter pour se rappeler au bon souvenir du son d’une époque.

Morella's Forest : Super Deluxe

Super Deluxe de Morella’s Forest

Date : 1995
Production : Chris Colbert
Label : Tooth and Nail

Avec cette pochette réalisée par Thomas Wolfe (qui fera plus tard les dessins de MACHINA des Smashing Pumpkins) qui s’inspire à 100% du style de Paul McMenamin, le créateur de 4AD, notamment celui du dernier album de Pale Saints (les couleurs vives, les titres des chansons dédoublées, les lettres qui fusionnent etc.), on peut croire que cet album appartient à 4AD. D’ailleurs, à l’écoute, on est en plein dans le style shoegaze, avec des saturations sous toutes ces textures, couvrantes, pesantes, nappantes, lacérantes, crispantes, piquantes… Les petites bulles aquatiques et les maracas, sous couvert de guitares, font penser à Cocteau Twins (« Lush of spring »), la lenteur et la mélancolie font penser à Pale Saints (« Frizzle Kiss »), la basse et la frénésie punk évoquent plutôt The Breeders (« Superstar », presque riot grrrl). Bref, tout est passé en revue.
Et la confusion avec Pale Saints est encore plus grande lorsqu’on écoute la voix de Sydney Rentz, tant elle fait penser à Meriel Berham, d’autant qu’elles se ressemblent également physiquement (cheveux très courts en pour les deux). Elle sait se faire lascive par moment (« Hang Out »), à d’autres, angélique (« Wonder Boy »). Mais en tout cas toujours d’une douceur impressionnante et d’une suavité extrême, malgré les guitares.
Super Deluxe n’est pas qu’une leçon d’école. Car après une première partie avec des morceaux percutants, souvent sublimes (« Oceania »), l’album vire vers quelque chose de plus complexe, plus torturé, plus méchant (« Glowing Green »). La personnalité du groupe est encore plus visible, au cœur de ses distorsions davantage tordues, de ce rythme lent et de ces ambiances invocatoires. Le chant de Sydney se fait carrément évanescent et de fait, perdant en accessibilité, ce qu’il gagne en majesté. Surtout la formation de l’Ohio n’hésite pas à pervertir leurs adorables divagations poétiques par des grosses déferlantes de grésillements, tandis que le rythme à la batterie devient froid et impersonnel. La voix de Sydney robotisée (un peu comme faisait Swallow, autre groupe de 4AD), avant de virer sur un registre plus doux et plus clair, suscite la fascination, surtout lorsqu’arrivent ces drones (« Curl »). Une preuve que le groupe a de la ressource et de l’imagination.

Solar : Play

Play de Solar

Date : 1997
Production : Barry Sage
Label : BMG

S’il ne chantait pas en espagnol, on pourrait prendre ce groupe pour l’incarnation de Ride ou mieux encore, Revolver, de par ce romantisme sublimé par un mur du son léché et puissant. Un titre comme le magnifique « Vacío » et ses riffs ébouriffants, ses vocalises doublées, son refrain éclatant, peut largement oser la comparaison.
On sent clairement l’influence shoegaze-pop. Les guitares s’imposent mais sans écraser, ni bousiller les morceaux, les chants, souvent en chœurs ouatés, sont la plupart du temps plaisants, tandis que les mélodies s’enchainent avec une facilité déconcertante. Solar ne s’embarrasse pas, il vise l’évidence, les chansons fédératrices comme « Medícame » ou « Saber de me ». Il faut dire que la production est d’une limpidité incroyable, chaque élément de distinguant pour construire des moments de majesté. « Armonía », son piano en intro, son mid-tempo, ses voix angéliques, ou bien le bruyant et remarquable « Port de luz », avec ses saturations et ses distos à tous les étages.
Mais Solar c’est bien plus que cela encore. C’est aussi la capacité de s’offrir des passages purement contemplatifs, de majesté et de lyrisme. Exemple avec « Midistinguidalteración », ses tambourins, ses guitares cristallines, ses interventions féminines en arrière-plan, son clavier féérique. Bien souvent les guitares sont magiques, même si elles sont parfois lourdes, le chant oscille entre langueur légère et sens de l’accroche, et le ton se fait plus grave, ce qui donne lieu à des propos indolents, de manière subtile, comme sur « Lo que eres », au tempo plus lent mais plus romantique, introduisant des passages d’une puissance découplée.