29 octobre 2017

Fiche article de Incense

Incense

Le groupe japonais probablement le plus proche de My Bloody Valentine, aussi bien dans le son que dans la radicalité, même si on devine des tendances vers l'ambient et la dream-pop.
Présent sur le label culte japonais Cardinal (Capsule Giant, Buffalo Daughter, Seagull Screaming Kiss Her Kiss Her), spécialisé dans le lo-fi pop, le groupe est mené par Yoshiki Watanabe, figure de prou du Shibuya-kei. Il sera entouré de trois jeunes filles, aussi délicieuses que mystérieuses : Aki, Kaoru et Maki.

Incense : Meteorites

Meteorites de Incense

Date : 1996
Production : Yoshidi Watanabe et Daisuke Kawasaki
Label : Cardinal

Cet album est un miracle qui fait de la langueur un moyen transcendantal. Les mêmes mélodies sont répétées en boucle, avec une tranquillité et des couches de saturations légères. L’élégance des bourdonnements de « Aquamarine » (que n’aurait pas renié Kevin Shields) est d’une beauté à couper le souffle, avec ce sentiment de flotter et ces vocalises ouatées et incompréhensibles.
Les guitares glisseront, sublimées par des échos, pour de longues traînées d’étoiles, des saturations à n’en plus finir, parfois tremblotant, jusqu’à immobiliser pour l’infini ce tableau merveilleux, reposant et léthargique, qui se pâme de manière répétitive, sans modification aucune (« Everytime I see you » qui a des petits côtés Th’ Faith Healers, groupe culte anglais). On peut prendre le morceau à la première minute, en son milieu ou vers la fin, on a l’impression que c’est toujours la même chose ! Ainsi, « Sweet Boy », mélange de shoegaze et de krautrock, avec son langage parlé, son chant indolent, mutin, recouvert de saturations étouffées, le tout sans interruption, ni changement pendant de longues minutes, si ce n’est ces crispations stridentes à la guitare, n’est qu’un jam interminable. On se croirait perdu dans l’espace (le superbe « Shooting Star ») au fur à mesure que l’album s’égrenne et se délite. De moins en moins de saturations et de plus en plus de fééries. 
On ne résiste pas à un titre de la trempe de « Flow » : une basse superbe, quelques guitares grattées au loin, une voix incroyablement chaude, qui se répète comme un mantra et se fait lancinante. Puis on répète la même boucle, qui monte, qui monte, ça s’incruste dans la tête, on s’envole au loin, on accroche, et pendant ce temps les saturations s’accumulent pour aboutir à une véritable tempête. Un album japonais fascinant, aussi bien intellectuel que sensoriel.

Fiche artiste de Chimera

Chimera

Chimera est un groupe qui s'est formé à Belfast en Irlande du Nord autour des personnes de Eileen Henry (à la voix magique), Ted Laverty, Steven Emerson et Willie Vincent.
Dans un style évoquant Cranes, Cocteau Twins, Rose Chronicles ou April March, ils ont d'abord oeuvré dans une veine Ethereal Voice, profitant du charisme de Eileen, mais des problèmes de droits ont empêché les rééditions de leur premier album, qui a disparu du marché comme s'il n'avait jamais existé.
C'est grâce au label américain Grass Records que le groupe se refait une santé et signe alors un deuxième vrai album, aux sonorités plus agressives et proches du rock alternatif, voire du shoegaze de Curve, tout en restant bien-sûr collé au gothique.

Chimera : Earth Loop

Earth Loop de Chimera

Sortie : 1996
Produit par Chris Nagle
Label : Grass Records

On pense bien-sûr au Pale Saints mais aussi et surtout au Cocteau Twins ou The Sundays. La délicieuse voix de Eileen Henry est claire, forte, charismatique, voire doucereuse, aux lignes mélodiques lyriques. Ce qui fait que la chanteuse gagne en mystère. Elle est capable de soutenir des vocalises savoureuses comme de monter dans des aigues au-delà de l’imaginable et atteindre des hauteurs incroyables, à grand coup de hoquets (« Let me around »). L'album sera avant tout chaleureux et paisible ; une rêverie, un peu teintée de gothique et d’esprit celte, de manière très légère, car ce qui l’emporte c’est cette sorte de calme royal qu’on ressent lorsqu’on écoute cet album.
De prime abord les chansons sont courtes, pop acidulée, chargées de guitares saturées, mais pas trop (« Blow Away » ou « God Heart »). Quelques réminiscences folk s'infiltrent de ci, de là, ajoutant plus de lumière mélancolique dans la musique du groupe. Par exemple, « All I need » fait la part belle à la guitare sèche, de même pour « 2 Sunny » à la fraîcheur bienvenue. On pense souvent à The Sundays, mais aussi à certains groupes américains comme The Millions, The Innocence Mission ou Strange Boutique. Eileen ose même des petits hoquets adorables sur la ballade « Night Song » et ses riffs oniriques.
C'est la mélancolie qui s’exprime en réalité : les paroles sont toujours défaitistes, sur les regrets, les séparations, l’hypocrisie. Une certaine langueur reste de mise, comme sur « Let me be around », qui finit par des saturations servant d’écrins pour les époustouflantes montées en gamme de la voix d’Eileen, passant du grave à du papier de verre en une fraction de seconde, le temps d’un soupir, ou le superbe « Liquid » et ses distorsions. Parfois le style est perverti et obscurci, comme sur « Catch Me », morceau qui dénote par rapport aux autres, de par une basse très mise en avant, une boite à rythme et des saturations industrielles. Eileen y chante de façon plus mordante encore, joue sur plusieurs registres, subversifs, ensorcelants et séducteurs, par-dessus des guitares glaciales. Un morceau que n’auraient pas renié des formations comme Curve ou Lulabox. « Tiago » qui malgré sa candeur, reste avant tout un superbe hommage aux guitares, dont les distorsions fondantes, façon My Bloody Valentine, se frayent un chemin derrière l’ambiance ésotérique et les notes tombant en pluie d'or. 

Fiche artiste de Swoon 23

Swoon 23

Certainement le groupe le plus radical de la scène indie-shoegaze de Portland, avec Sugarboom (plus rock) et The Dandy Warhols (plus psychédélique), tous signés sur le même label Tim/Kerr. Le groupe, composé de Michael Keating, Megan Pickerel, Marty Smith, et Jeff Studebaker, pratiquait une musique étrange, quelque part entre shoegaze, gothique, space-rock et avant-gardisme, évoquant aussi bien Bowery Electric que Cranes.

Swoon 23 : The legendary ether pony

The legendary ether pony de Swoon 23

Date : 1997
Produit par : Doug Easley
Label : Tim/Kerr Records


Il ne faut pas s’attendre à une atmosphère doucereuse et sucrée. Swoon 23 n’est pas là pour prendre les gens par la main et les faire voyager parmi les délices de la poésie. Au contraire, le monde visité par cette formation américaine est angoissant.
Froide, voire même glaciale, balançant avec un esprit malsain entre lourdeur et contemplation, leur musique laisse songeur. Elle laisse des stigmates profonds à coup de longues plages éthérées et mécaniques, de distorsions lointaines qui laissent l’auditeur avec un mal-être indéfinissable, des brouillages sonores, un tempo indolent et d’autres complications.
A force, Swoon 23 détournera les codes traditionnels du shoegaze pour atteindre une sorte d’astreinte musicale : les guitares seront lourdes, rêches, des échos seront persistants pour donner une impression de glissement ou de flottement, la basse sera particulièrement mise en avant et les chants déshumanisées colleront au mieux avec cette lassitude ambiante.
Fatigué, lent, pesant, « Cellophane » fait froid dans le dos, avec une batterie tranquille, une guitare qui répète les mêmes motifs, une voix angélique et murmurée dans un souffle. La ballade qu’est « Atom Smasher », qui peu à peu se laisse envahir d’un énorme mur du son, est empreinte d’un abandon saisissant. L’entrée d’une voix suave, quelque peu fatiguée, a de quoi étirer ce sentiment de fin de route. Jusqu’à ce qu’elle se double, avec Jeff Studebaker et Megan Pickerel qui se répondent, et que l’intensité augmente.
Cette chanteuse a une façon perturbante de chanter, elle ressemble à Alison Shaw, de Cranes, tout en soupirs.
Cet album distille un venin : profondément rêveur et lunatique, il reste pourtant implacable et dénué d’optimisme. La guitare très alternative-rock de « Sell the things I love », les touches au clavier façon écho de sonar de « Love song 1000 », les distorsions lunaires de « Missing Time », l’intro fantasmagorique de « Fire Hanger » qu’on dirait extrait d’un album de Cranes, ou encore la violence inouïe de « Circadas », noyé sous les saturations, tout ceci concoure à instaurer une langueur et une paresse déshumanisée.
La musique, vaporeuse, inquiétante, contemplative de Swoon 23 ne cache rien, se laisse aller, égrène ses états d'âmes comme des coulées de métal. Il n'y a même pas, parmi ces jeux de guitares glissantes, lointaines et enchanteresses, ces chants mornes et sans lueur, ces harmonies délicates, une tentative de se comprendre, de s'indigner ou de se soigner. L’atmosphère irréelle et froide (comme sur le dépressif « Just like TV ») souligne l'insensibilité, comme l’intangibilité. 

Chacune des chansons est une pause sans en être une. Une pause car elles tirent un constat déprimant, ni négatif, ni positif, juste soulignant le zéro. Tout cela sans en paraître affecté. Et c'est à la fois aussi quelque chose de profond, de rempli, de riche. Un vecteur immense, livré avec retenue, de tout ce que la musique peut posséder de plus fort et de plus évocateur (le sublime « Shady Hands »). Une langueur par ci, un chant doucereux par là ou encore ici, un climat sépulcral, et c’est l’esprit qui vagabonde dans bien des turpitudes.