12 mars 2018

Livre SHOEGAZE

Sortie du livre SHOEGAZE

Le projet s'est réalisé ! Avec l'aide précieuse des éditions Le Mot et le Reste, un ouvrage consacré au mouvement shoegaze est enfin disponible.

Sortie dans toutes les librairies et sur les sites de vente en ligne.


Cela représente un travail de près de dix ans et concrétise l'aventure démarrée avec ce blog.
Comme toujours, tous les artistes qui ont fait le shoegaze sont présents, il suffit de cliquer sur leur nom dans la liste à droite.

Le livre quant à lui raconte l'histoire du shoegaze, ses influences et ses caractéristiques, les frasques du label Creation, les relations avec le public, la presse, cette agrégation autour de The Scene That Celebrates Itself, puis la concurrence avec la Brit-Pop.
Tous les groupes cultes (Ride, Slowdive, Lush, Kitchens of Distinction...) et les labels (Slumberland, Summershine) ont leur historique développé. Et je fais également le panorama de toutes les scènes étrangères qui ont fait vivre le shoegaze (scènes espagnole, argentine, chilienne, française, américaine...).

Ainsi, le blog, indispensable, se mue bien-sûr en complément de l'ouvrage, car il contient, plus que jamais, toutes les chroniques des albums shoegaze, entre 1987 et 1997. Cela permet d'avoir une idée musicale des œuvres citées dans le livre, ou à l'inverse, de donner envie d'en savoir plus sur le groupe ou la scène qui se cachent derrière les albums. Rien ne manque, ni même les surprises !

Bonne lecture à vous et merci pour votre suivi fidèle depuis 2007.

Vic (modifié le 21/04/18)

26 février 2018

Fiche artiste de Ultracherry Violet

Ultracherry Violet

Les trois hommes de Washington DC, Dan Marx, Dugan Broadhurst et Danny Ingram, ont signé sur la label Bedazzled en 1992. Comme The Curtain Society, Difference Engine dans le shoegaze, ou Siddal, An April March, Mistle Thrush, Strange Boutique dans le gothique, ils ont participé à la renommée du label.

20 février 2018

Fiche artiste de The Pagans

The Pagans


The Pagans, au même titre que des groupes comme The Mother ou Breed, a pleinement contribué à faire vivre la scène shoegaze de Singapour. Une scène vivante et bruyante qui a toujours lutté pour ne pas être perçu comme une scène underground, mais qui pourtant remplit tous les critères pour être perçu comme tel. 

The Pagans : Stereokineticspiraldreams

Stereokineticspiraldreams de The Pagans

Date : 1993
Production : Morris Yeo
Label : Tim Records

Du bruit et des distorsions, ce n’est pas ce qui manque sur cet album ébouriffant. C’est très saturé et si le groupe injecte dans ces chansons supersoniques quelques pauses, ce n’est pas pour respirer mais pour se laisser aller aux distorsions. Des titres comme « DHL » ou « So-on », avec sa pédale wah-wah, ne sont que des fracas, de la batterie comme des guitares. Et ce qui est surprenant, c’est qu’au milieu de tout ça le chant de Morris Yeo reste imperturbable. Seule exception avec « Part II », une petite ballade, où subitement il se met à crier (si ! si !) alors que jusque-là il avait fait preuve d’une grande douceur.
Avec sa façon de poser sa voix, toujours d’un souffle, étirée au maximum et d’une légèreté absolue, difficile de comprendre qu’il s’agit bien d’un homme. Il se joue parfaitement des codes de la masculinité. Quitte à se lover dans une extrême suavité, proche parfois de la torpeur. A force de longues déclamations uniquement composées de voyelles, son chant devient une force d’opposition aux rythmiques saccadées et aux guitares dures, pour un contraste délicieux. Sur le post-punk « Take this day away », il apparait presque béat. Et sur le space-rock « TV Babe », avec son intro en forme de zapping TV (on entend même un match de la Juventus !) et sa basse rampante, c’est à peine s’il est audible.
A bien des égards, la musique de The Pagans, à forte valeur psychédélique, évoque parfois Chapterhouse. C’est indéniable avec l’indépassable « Prog-rock space opera », joué à fond, porté par un riff inoubliable, des saturations constantes, un rythme dansant, et dont le chant n’est qu’un souffle évaporé. 
The Pagans ne se contente pas de tout casser ; il réussit également à inventer un univers bien à lui, éloigné de ses idoles, toujours aussi féérique, mais peut-être un peu plus obscur et mystérieux. On n’est pas dans la luxure mais dans une sorte de rêverie assez inquiétante et perturbée. L’ambiance est comme plombée. Rien que la basse, souterraine, grave, qui rappelle celle de « Come as you are » de Nirvana, sur « Precious 7 », fait courir un frisson dans l’échine. Encore pire avec le sublime « K », qui ne sera qu’une vague plage contemplative comme les affectionne Slowdive, lente et monocorde, mais d’une beauté froide à couper le souffle.
Ce qui fera de Morris Yeo un personnage assez détonnant dans le milieu.

Fiche artiste de JPS Experience

JPS Experience

Anciennement Jean-Paul Sartre Experience - ce qui leur a valu des déboires juridiques avec la famille - ce groupe est un fleuron du label culte Flying Nun Records. Formé dans les années 80 par Dave Yetton, Gary Sullivan et Dave Mulcahy, le groupe a commencé par un étonnant premier album "Love Songs", entre expérimental et indie pop, vite remarqué. Puis il s'est érigé en représentant du psychédélisme néo-zélandais, en terminant dans un style entre shoegaze, Madchester et Pixies.

JPS Experience : Breathe

Breathe de JPS Experience

Date : 1993
Producteur : Marc Tierney
Label : Flying Nun Records

C’est l’album en forme de chant du cygne. Le psychédélisme tranquille est mis à l’honneur, c’est fun, cool et détendu, pourtant on en peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Car on sent bien que le groupe livre ici son ultime album, arrivé au bout de sa démarche, en étant plus apaisé, plus mélodique. Car au départ, JPS Experience  est un combo célèbre du mouvement Dunedin Sound, avec Verlaines, Chills, etc. Une bande de garnements qui à l’époque s’appelait Jean-Paul Sartre Experience, et qui se sont fait vite rappeler à l’ordre pour des questions de droits. Leur musique était un peu bizarre, brinquebalante, éminemment excentrique, post-punk, indie, avec toujours un grain de folie. Sur la fin, après de multiples tournées en Europe, le groupe découvre le mouvement shoegaze et le Madchester, et s’en inspire largement.
On a reproché au groupe sur cet album de s’aplanir, de s’affadir, avec notamment un son léché où rien ne dépasse. Le rythme est lisse, les mélodies visibles et les voix douces. Quant aux guitares, elles sont immenses, saturées juste ce qu’il faut. Le groupe rend hommage au Stones Roses, à Primal Scream, à Ride, à Swervedriver et même à Blur, losqu’on pense à leur premier album, mettant de côté son identité insulaire qui en faisait un groupe spécial. 
Mais force est de reconnaitre que les mélodies sont toujours là, elles sont plus accessibles, fédératrices, avec des refrains à reprendre en chœur, sublimées par un rythme nonchalant maîtrisé sur le bout des ongles. JPS Experience assume et se complait dans un psychédélisme festif, en utilisant tous les ressorts connus (tambourins, voix dédoublées, basse relâché, référence sixties), comme sur « Ray of shine » ou « Breathe », magnifiquement branleur.
Dommage qu’on soit parfois dans un entre-deux, sans rythme clairement techno, sans des saturations bruyantes, sur certains morceaux, c’est l’eau tiède. A d’autres moments, on s’assagit carrément et on prend davantage son temps. Ces garçons-là savent se faire sensibles, se lover totalement dans un shoegazing rêvasseur et s’offrir de déchirantes nappes de guitares pour décoller et tripper longtemps. Après un époustouflant « Spaceman » brouillé, très My Bloody Valentine, lourd et agressif, « Still can be seen », sa guitare sèche, sa voix douce et son ambiance féérique est un véritable slow romantique. 
Le groupe choisit de s’exprimer plus dans la douceur, comme une fin de fête. Le but de JPS Experience n’était pas de poursuivre l’avant-gardisme mais au contraire de décrire le relâchement, l’état extatique, la détente psychédélique après les orgies et les ouragans créatifs. A ce titre, « Into you », après son ouverture en forme de distorsions, son riff saturé et gonflé, sa batterie forte, s’appuie sur une mélodie adorablement dépendante de narcotique, et il en est de même pour celle de « Modus Vivendi », indolente, nappée de saturations sur-produites, qui rappelle Jesus and Mary Chain. 
Toute polémique n’a pas lieu d’être car il n’empêche que le groupe n’a pas son content pour signer des chansons sublimes. Si tant est qu’on n’ait pu dire de JPS Experience qu’ils étaient tous justes bons à s’amuser, ce dernier album met les points sur les « i ». Comment ne pas admirer « Angel », légèrement mélancolique, une belle plainte folk, pourtant traversée de distorsions et de parasites ? Ou encore « Bleeding Star », probablement une de leurs meilleures chansons toute époque confondue, à la batterie vigoureuse, au chant aérien et doublé, qui évoque un peu les influences orientales, les grosses guitares saturées sûres d’elles, les voix trafiquées et les petits bruits de navettes spatiales, qui se termine en paroxysme et en cri du cœur ? Comment ne pas s’embarquer pour un tel voyage ?

Fiche artiste de Giradioses

Giradioses

A la suite du Dynamo de Soda Stereo, la vague Movida Sonica a commencé à déferler en Argentine. Des jeunes groupes aux styles divers mais toujours bruyant qui ont été, à divers degrés, parainné par les grandes figures comme Gustavo Cerati ou Daniel Melero. C'est le cas de Giradioses, dont leur album de shoegaze soporifique et élégiaque sera produit par Melero.

Giradioses : Dormitorio

Dormitorio de Giradioses

Date : 1995
Production : Daniel Melero
Label : Nahuelito

Derrière ce flot de guitares, toujours finement travaillé, se cache une propension au laconisme. Pas de façon éclatante, ni même reconnue, mais plutôt de manière latente, embryonnaire, traces que l’on devine dans cette façon de céder sous les saturations. Giradioses se laisse aller à la torpeur et autorise les déclins, les humeurs, les mollesses.
Drapée de majesté, refusant de s’opposer à un mur du son qui s’abat sur elle, la musique de la formation argentine, peut parfois glisser vers une description de l’abandon (le rêveur « Combo » et les doux murmures d’Agustina Elicabe, candide et troublant), un état contemplatif extrême qui renverse les rapports de force et donne de l’espace aux sens.
Une atmosphère timidement spatiale se déploie alors lentement, à coup de distorsions (l’ambitieuse douceur de « Parapente »), de chants abattus, mais incroyablement doux (le superbe « Agujeros »), de larsens plaintifs (« Tierra Skinhead »). Ils ne prennent pas le pouvoir, ils n’en ont pas l’ambition, ils se contentent de s’exposer outrageusement comme des lambeaux abîmés de tendresse, d’anciens espoirs évanouis ou de mélancolie. Rien ne s’élève, ne se rebelle, mais le tout compose un ensemble délicieux de climats indolents et gracieux, souvent très étrange et en décalage.
Appliqué dans son étalage, le groupe prend bien soin de composer des chansons au sein desquelles les auteurs eux-mêmes semblent s’oublier. Les montées en puissance (le majestueux et intense « Domingo Ginzu », qui évoque Secret Shine et Slowdive, ou l’extraordinaire tour de force que représente « Divide y reinaras ») prennent une résonance tout autre. Giradioses détourne la suavité de ses compositions pour dresser un parcours alambiqué, sublimant le caractère évanescent qui imprègne le groupe. Et l’intellect devient alors objet de grâce, comme sur le très beau et très lent « Su jardín », où les voix d’Agustina et de Roger dialoguent doucement sous les nappes de saturations.
Faisant dans l’instrumentation impalpable (beaucoup de claviers, une batterie livrée à la retenue), l’album glisse souvent vers la déliquescence, pour se complaire dans la torpeur céleste, parsemée d’une rythmique ambient tout juste discrète, comme sur les incroyables dix minutes de « Corazón » ou les nombreux passages ambient. Réflexion, soulagement face à l’abandon, misère matérielle, aspiration étouffée, ce rassemblement emmène la contemplation vers un état où la paresse devient fascinante.

14 février 2018

Fiche artiste de BP.

BP.

Groupe féminin japonais, loufoque et violent, qui a eu le droit par le label Merguro Records de voir l'ensemble de ses démos et de ses singles réédités en 2013. Pour les amateurs de shoegaze original.

Fiche artiste de Espira

Espira

Formation essentielle du mouvement Crisálida Sónica, qui a eu lieu au Pérou lors de la deuxième moitié des années 90, la formation de Chino Burga s’inspire de Slowdive, Medicine, Colfax Abbey ou Bark Psychosis pour emmener la musique péruvienne sur de nouveaux territoires jamais explorés jusqu’alors. Lui et ses potes de fac, qu’on retrouve dans les autres groupes de cette scène, Catervas, Hipnoascension ou Fractal, allaient être réunis sur la compilation culte qui donna son nom à ce mouvement en 1996. Avant de s’orienter vers l’électro, Chino Burga vouait toute son admiration pour le shoegaze et la dream-pop.

Espira : Bajo tus sueños EP

Bajo tus sueños EP de Espira

Date : 1996
Produit par : Wilder Agreda
Label : Sonic Cocoon

Les chansons, qu’elles soient alanguies ou virevoltantes, sont d’une beauté à couper le souffle. Le moment de contemplation que propose « Cielo de azul y ensueño », avec sa guitare sèche, ses échos irréel, son climat aquatique, sa basse splendide, son tempo évasif, fait partir l’esprit très loin. Les guitares en multi-couches, la voix réverbérée, les nappes vocales et l’ambiance rêveuse et féerique annulent toute velléité de sortir la musique de l’irréel, ceci dit, la souplesse dans le rythme et les envolées gracieuses réconfortent et embellissent l’ensemble si bien qu’on souhaite le prolonger à l’infini.
Ainsi, on a le droit à de magnifiques tissages shoegaze sur fond de basse rebondissant  («Espiral mi alma »), des plaintes déchirantes avec guitares sèches, des violons, puis au final un orchestre symphonique (« Alas de angel ») ou un vrai tourbillon de saturation, avec une basse héritée des années 80 à se damner (le génial « Bajos tus sueños »). 
On retrouve sur cette cassette des râles à peine susurrés, noyés par des nappes féériques de guitares, ou appuyés par des distorsions crispantes, des effets inspirés autant par l’ambient que par l’éthéreal, une finesse mélodique élégiaque. Indispensable pour connaître l’avant-garde péruvien. 

Ultracherry Violet : Ultracherry Violet EP

Ultracherry Violet

Sortie : 1992
Autoproduit
Label : Aucun

"Losing my friends", avec ces échos de cloches d'église, rêveuse, cette voix légèrement traînarde et vaporeuse, puis ces saturations tranquilles, distille un parfum légèrement mélancolique. On le devine lorsque la chanson se suspend, qu'on entend presque plus rien, puis les déboulées reprennent pour tout écraser. 
Ultracherry Violet est presque un groupe masochiste. Il aime parler de sujets blessant, de ses doutes existentiels et de ses angoisses, de légèrement trembler au moment de passer au micro. Et de recouvrir le tout par des saturations lourdes et violentes. La batterie cogne durement et ne s'arrête jamais, héritage du post-hardcore que le groupe semble apprécier, et le rythme est souvent hachuré. C'est flagrant sur le dérangé "Wayve", inlassable et au riff anguleux.
C'est à peine si on distingue encore les restes de pop de ces jeunes américains qui n'en étaient qu'au début : "Yawn to smile" semble en posséder les codes (refrain enjoué et reprise en choeurs), mais Dungan Broadhurst n'est pas encore assuré dans son chant tout en douceur. Et de toute manière la chanson plie sous le poids des guitares. Quant à "This girl I know", si l'intro est le signe d'un onirisme certain, tout comme les voix ou les échos, la noirceur des riffs ne laisse que peu de place à l'engouement.
Sur cette cassette autoproduite, le groupe livre là quelques titres ébouriffants. A la croisée entre le shoegaze et un post-rock plus dur. Qui aurait mérité sans doute un autre sort que d'être logé parmi les curiosités introuvables.

Ultracherry Violet : Remember EP

Remember EP de Ultracherry Violet

Date : 1993
Producteur : Tony French
Label : Bedazzled

Même si « Remember » s’ouvre sur des nappes flottantes et un chant tout en souffle, Ultracherry Violet distille une espèce de violence sourde absolument confondante. Les guitares saturées, énormes, tombent lourdement, de tout leur poids, sur des incantations volatiles. Les trois hommes de Washington DC, Dan Marx, Dugan Broadhurst et Danny Ingram, semblent victimes de leurs propres déferlantes, tant le mur du son qu’ils ont façonné leur échappe et écrase tout. Ce n’est pas le maigre passage assagi, alimentée par une seule basse, qui offre une respiration. 
Cette tendance à l’écrasement et au montage cathartique finit par instaurer une ambiance confondante, chère au label Bedazzled, maison-mère durant les années 90 de tous les amoureux d’évasion et de gothisme.
L’autre morceau est encore plus effrayant. « Anything is feasible » est lent, obscur, sombre, puis l’arrivée de la batterie introduit une grosse tempête de guitares, ralentie, sûre d’elle-même. Les voix sont apprêtées, chevrotantes, soufflées, lyriques. Puis on a le droit à une coupure pour un passage flottant et rêveur, agrémenté d’une basse sourde et angoissante. Puis un nouveau déluge arrive, infernal, purgatif. Avant de se conclure par des distorsions, ponctuées par une batterie frappée durement et calmement. C’est le chaos, mais le chaos maîtrisé, ce qui est encore plus impressionnant, comme une démonstration lovecraftienne.  Cela fait longtemps que c’en ait fini pour les paroles…
On finit l’écoute avec la chair de poule, un peu sonné, par ce vacarme d’une telle beauté glaciale.

Fiche artiste de Puffin

Puffin

Groupe suédois, typé power-pop, qu'on retrouve au sein du label culte A West Side Fabrication. Leur premier EP était influencé par The Boo Radleys, quelque chose de vif et joyeux.

Puffin : A dream it seems EP

A dream it seems EP de Puffin

Date : 1993
Pays : Suède
Label : North or No South 

Ce superbe single, sorti en plein coeur de la vague shoegaze suédoise, résume tout à fait le style : guitares qui s'emballent dans des harmonies alambiquées, enjouées et naïves, des amplis à fond pour un mur du son magique qui résonne au loin, multiplie les guitares, merveilleuses, saturées ou acoustiques, le tout en même temps, des arpèges qui pleuvent, des vocalises relâchées, presque béates au milieu de la beauté des compositions. Les deux chanteurs et guitaristes, Robert Norsten et Per Helin, possèdent deux voix douces qui s’harmonisent parfaitement, en dépit de leurs approximations. Jon Rudberg (percussion), Magnus Âström (batteur), Mattias Jonsson (bassiste) sont tout aussi fou-fous qu’eux et les accompagnent pour ces délires sans conséquences.
Ces chansons sont revigorantes, courtes mais aux mélodies prenantes et poétiques, tout en gardant un grain sapide dans le son. Pourtant les guitares occupent un grand espace de liberté, avec la possibilité de faire gronder les amplis comme de distiller des éclats cristallins, qui résonnent comme des gouttes d'or, le tout dans une infinie insouciance et un ton amateur absolument puéril.
Les riffs façon Foo Fighters, la guitare sèche et le xylophone de « Sibyl-lane », la libératrice et adorable agrégation de guitares de « The Badger », les ambiances lounge ou bossa nova de « Flipper », les moults arpèges de « Softly kills me » et ses percussions, tout ceci respire bon l'ambiance indie qui régnait à l'époque. Quant à « Ooh », c'est tout simplement un titre merveilleux, empli de magie. Vif, remuant et virevoltant, il fait penser aux premiers The Boo Radleys.
Ecouter, c'est donc se replonger dans cette époque, adhérer, s'y laisser prendre et en faire sienne.

Fiche artiste de Automatics

Automatics

Encore une découverte du label Elefant, à l'image de leur crédo : noisy, puncheur, power-pop. Un groupe originaire de Linares en Espagne, qui fut proche de Los Planetas. On se souvient de leur apparition aux Eurockéennes de Belfort en 1997.

Automatics : Cesárea

Cesárea de Automatics

Date : 1994
Production : F.J. Romero
Label : Elefant

Automatics ? Une référence à l’album de Jesus and Mary Chain. L’influence est évidente, mais il n’y a pas que ça, tant le groupe se veut la synthèse des guitares bouffies power-pop et des mélodies du shoegaze. Il y a donc des airs de Teenage Fanclub, Kingmaker, The Stones Roses, voire des Pixies (« Dixie » est à peine voilé), mais aussi Ride ou Pale Saints, ce qui donne lieu à des chansons savoureuses et énergiques. 
La force de la bande barcelonaise est d'avoir transformé des chansons power-pop enflammées en hymnes entraînantes et marquantes. Dès « Sixty », le ton est donné et ne sera plus lâché jusqu'à la fin. Vigoureuses, à fleur de peau, ces bombes soniques sont sublimées par la finesse recherchée, parfois subversive (« In your bloody heart »), par l'engouement employé par tous les membres du combo au top de leur forme, par ce jeu de guitares robuste (« Emilio »), par le chant, toujours doucereux et en anglais, bref par cette résolution qui s'est emparée du groupe.
Produit en 1994 avec les modestes moyens de leur label, qui pourtant jette tout dans la bataille, Cesárea est une porte d'entrée pour l'indie pop à l'espagnole, bruyante et intense. Aucun titre n'est à jeter, tant ils sont tous formidables pour leur sens mélodique qui ne délaisse pas pour autant la complexité de l'écriture (« Suicide » ou bien l'acoustique « Sad Love »). Comment ne pas oublier « Crazy », mêlant vrai vacarme et rythme défouloir, ou « The Slaughterhouse » et ses distorsions incroyables, un vrai défouloir façon The Telescopes ? 
Redoutable du début à la fin, comme sur « Open Space », à filer des frissons, avec son petit côté féerique, ses saturations, son chant mordant à la Jim Reid, et sa batterie terrible, Cesárea balaye tout sur son passage, met les choses à plat et s'impose comme une vraie curiosité underground !

Fiche artiste de Mercromina

Mercromina

Après le split du groupe culte de l'indé espagnol, The Surfin' Bichos, Fernando Alfaro a monté son projet Chucho, tandis que le reste du groupe, Joaquín Pascual, Carlos Cuevas et José Manuel Mora ont continué ensemble sous le nom de Mercromina, pour deux albums de shoegaze pop un peu fou-fou.

Fiche artiste de The Julies

The Julies

Probablement un des groupes les plus méconnus de la scène shoegaze (et plus particulièrement christian rock), car ils n'auront livré qu'un seul maxi. Mais quel maxi ! Énergique, frondeur, orgueilleux et classieux, la réponse américaine à Adorable.

The Julies : Lovelife EP

Lovelife EP de The Julies

Date : 1996
Production : Bill Campbell
Label : Flying Tart

Pas question de laisser trainer son regard vers le sol. The Julies se tient debout et impose son mur du son avec fierté. Tout le monde est campé sur ses positions, la batterie est sûre d’elle-même (quel jeu de Greg Hohman !), les guitares jouent leur partition sans dévier et puis, il y a ce chant, celui de Chris, incroyable, pleine de morgue et d’assurance. Le groupe avance en faisant place nette. Leur son est éclatant, brillant et met en place des refrains incroyables, pour un mur du son luxueux (« Wake up, Christine » et son rythme haletant à la batterie ou bien « Friday and faithless », qui ressemble à bien des égards à une chanson de Kitchens of Distinction).
La première comparaison qui vient à l’esprit, c’est Adorable. Avec le groupe londonien, il a en commun un chant plein d’allant, d’arrogance aussi, de préciosité, en forçant sur les émotions et en exagérant les traits. On retrouve les mêmes guitares magnifiquement racées et une ambiance légèrement féérique, ainsi qu’une tendance à surjouer les refrains pour les rendre encore plus percutant et lyrique (le magique « Boy Wonder » ou le tourbillonnant « Love scene seventeen »). Et parfois c’est à se demander s’il n’y a pas là-dedans des influences de Brit-Pop (Longpigs, Strangelove, Shed Seven) dans cette façon de tout prendre à cœur (« Drive me mad »). Ce qui ne serait pas étonnant vu que beaucoup considère Adorable est le premier groupe de Brit-Pop en réalité. The Julies propose sa version personnelle, ce qui aboutit à six chansons, mais qui pourraient toutes potentiellement être des tubes… s’ils étaient sortis en Angleterre !
C’est un shoegaze avenant, gonflé d’orgueil et assumant pleinement son mur du son exagéré, ses ambiances parfois hérités de la dream-pop, sa texture apprêté et tempétueuse. Même lorsque le tempo ralentit, que le groupe mise tout sur sa basse, qu’il convie une guitare sèche et qu’il souhaite jouer une ballade, la voix se fait alanguie, force des tremolos et répond à des chœurs au cours de vocalises poignantes et  délicieusement excessives (« Blue »). 
C’est énergique, frondeur et plein de vitalité.

Fiche artiste de Salon Music

Salon Music

Grand groupe de rock avant-gardiste au Japon, Salon Music a accompagné la vague new-wave durant les années 80, avant de s'orienter ensuite vers l'ambient.

Salon Music : M*A*S*H

M*A*S*H de Salon Music 

Date : 1995
Production : Zin Yoshida
Label : Trattoria

Volontiers avant-garde et dans un esprit d’évasion artificielle, le couple japonais va, à la suite du mouvement Shibuya-kei, ajouter quelques influences shoegaze à son rock ambient, qui conserve de son goût pour la sensualité quelques réminiscences. Dans un souci de sonner tout à la fois étrange et enivrant, on surprend de ci, de là, quelques samples reprenant l’indie-dance (le rigolo « Pop life »), un clavier omniprésent (« Falling Rain », très EMF dans son style), des percussions indiennes (« Muddy Sunshine »), une musique lounge, pop de chambre, voire lo-fi (les guitares déglinguées de « Is it today ? »). Experts en programmation, on sent que Hitomi Takenaka et Zin Yoshida se sont amusés à user de toutes les techniques possibles pour imiter les groupes à la mode en Angleterre.
Le rythme est globalement indolent, pour insuffler une sorte de torpeur à l’auditeur et l’emmener vers un état à la fois relaxant et déconcertant (« Nagisa Nite »). Salon Music, c’est un nouveau monde qui se dessine, capricieux et vaguement aérien. On pense à My Bloody Valentine, Stereolab, Seefeel ou Saint-Etienne.
Les chansons, même si elles peuvent être surprenantes, sont souvent basées sur une construction autour de boucles de guitares tranquilles, lancinantes, de rythmes programmés sur mode invariable, sur lesquelles vient se déposer comme du velours la voix grave de Hitomi Takenada. Elle ne cessera de souffler, de susurrer, de lâcher des râles d’une légèreté confondante et sensuelle. Sa personnalité envoutante apporte la chaleur hypnotique aux morceaux. La répétition hypnotique est le maître mot de cet album, dans une veine influencée par le kautrock et l’ambient, mais qui reste feutré, doux et presque enchanteur de par les superbes parties de guitares noisy. Que dire de morceaux comme « Wanna be tied », gorgé de saturations, de claviers féériques, rythmé par des beats ambient, et dont la voix est d’une douceur telle qu’on croirait pouvoir s’y enfoncer ? Et de « Who just can’t be happy ? », hymne shoegaze, qui n’est autre qu’une nappe continue de guitares bruyantes, où Hitomi Takenada susurre lentement, comme à l’oreille, ses paroles sibyllines ?
Cet album apparaît comme une véritable bulle de fantaisie flashy et apaisée, à l'image de la pochette mythique. Un recueil de délicates chansons pour un album incroyable, brillant et arty, qui allait confirmer une carrière immensément respectée.

Fiche artiste de Sien

Sien

Issu de la scène underground du Chili et découvert par le label Blackground, le groupe de Santiago, Sien, a livré un shoegaze pur jur, influencé également par Soda Stereo.

Sien : Uno

Uno de Sien

Date : 1997
Production : Carlos Cabezas
Label : Aucun

Parmi les nombreuses filles qui ont mené les groupes shoegaze, Daniella Rivera est une de celle dont la timidité ne reflète pas le charisme qu’elle dégage dans son chant. Au lieu de jouer les êtres fragiles, elle sait jouer de son expérience de chanteuse lyrique pour imposer sa force.
Et cela s'en ressent dès le premier et seul effort du groupe, encore bien brouillon mais magnifié par les saturations. Oscillant entre voix caressante (le rythmé «Trans-luz »), soupir lascif (« Juego » et sa trompette noyée sous les saturations) ou envolée appuyée (l’extraordinaire « Vuelta x vuelta »), Daniella ne laisse en tout cas personne indifférent. Sublimant ses textes ou leur donnant un souffle épique, elle intensifie les chansons, qui au lieu de se cantonner à n'être qu'un mur invariable de saturation (le jeu de Alejandro Goméz, tout en subtilité, arrive à tisser de jolis riffs à partir d'une pelote de saturations), deviennent des démonstrations de majesté et de fougue estudiantine. Effet renforcé par une section rythmique redoutable, particulièrement souple, flexible et insistante.
Ces chansons, même si elles témoignent d'un son encore juvénile (« Despertar »), deviennent vite des modèles pour toute une génération. Ces assauts soniques visent la liberté et les infinies possibilités qu’elle offre pour la jeunesse. Les mélodies sont parmi les plus intenses, sans jamais tomber dans la confusion. Les chansons de cet album autofinancé balancent ainsi, sans trancher, entre plusieurs ambiances, tantôt en apesanteur (« Sostenido »), tantôt en flamboyance (« Levitar »). Les guitares sèches et les percussions s'additionnent pour donner ce qu'il faut de puissance et de créativité à un ensemble très personnel, et aussi très ardent (« Celofán »). Avec toujours cette voix intimidante, faite de velours et d’assurance, faisant des pirouettes et des voltiges, entre gravité séductrice et friandise susurrée. 
Il y a tant de promesses dans ce groupe-là. Du culot, un amour pour les saturations et une maturité au-delà de la moyenne.

1 janvier 2018

Fiche artiste de Bark Psychosis

Bark Psychosis

Les deux amis d'enfance John Ling et Graham Sutton fondent le groupe alors qu'ils sont âgés d'à peine 14 ans en 1986. Leur première chanson sortira deux ans plus tard, sur Cheeree Records avant que ces jeunes quittent le lycée, recrutent le batteur Mark Simmett, s'installent dans des squats mal famés de Londres, sympathisent avec les artistes underground du cru, proposent des concerts furieux dans des églises ou des petites salles, expérimentent et publient des singles expérimentaux et obscurs, parfois inspiré du shoegaze, un milieu dont ils étaient très proches, d'autres fois ressemblant à l'ambient, avant d'aboutir à leur chef-d'oeuvre : Hex, un album reposé, calme et novateur, le premier album de post-rock.

Bark Psychosis : Nothing Feels EP

Nothing Feels EP de Bark Psychosis

Date : 1990
Production : Graham Sutton
Label : Cheree

Une face claire, une face sombre.
En première partie, le groupe explore des veines alanguies et reposées. « Nothing Feels » est construit autour d’une basse gothique, d’un rythme lent, de quelques percussions, puis une petite guitare fait son apparition, ainsi que des voix fatiguées, soufflées. C’est la même chose avec la ballade folk « I know », tristounette à la guitare sèche toute tristounette et aux guitares qui sonnent comme des plaintes de dauphins. Les voix sont douces, légères, dédoublées, à la façon de Slowdive. On se surprend à rêvasser.
Mais sur la seconde piste du vinyle, les choses prennent une autre tournure et le bruit s’invite à la fête. « By-blow » n’est d’ailleurs qu’un mur du son expérimental, composé de massacre en règle de la batterie, de distorsions et de nappes de saturations inaudibles. C’est sur « All different thing » que la dimension émotionnelle s’amplifie. Le morceau est lent, alangui, avec juste quelques brides de guitares qui se perdent dans le lointain, quelques brides de voix, féminines, masculines, qui répètent les mêmes échos comme des incarnations de fantômes. Puis les arpèges féériques et doucereux commencent à tisser des lignes folles et enfin, c’est le déluge, et un mur du son imposant se déploie majestueusement. Une interruption, on revient vers ce climat plus reposé, alternant bruit shoegaze et calme dream-pop, et enfin ça reprend encore plus fort. Huit minutes tout aussi éprouvantes qu’éblouissantes.